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Le Qatar, la France sont dans un bateau, le terrorisme ne tombe pas à l’eau, que reste-t-il ?

Wednesday 14 January 2015 à 23:15
François Hollande et l'émir du Qatar, le Cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, à l'Elysée, le 23 juin 2014. (ERIC FEFERBERG / AFP)

François Hollande et l’émir du Qatar, le Cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, à l’Elysée, le 23 juin 2014. (ERIC FEFERBERG / AFP)

François Hollande et Nicolas Sarkozy sont Charlie. C’est une bonne nouvelle. On n’a jamais autant parlé de renseignement. C’est un drôle de hasard. Car les deux hommes ont un rôle non négligeable dans ce domaine. Nicolas Sarkozy était un gros consommateur d’informations remontées par les services, à son plus grand profit. Il est aussi l’homme qui était aux manettes lorsque s’est montée l’ignoble opération « Amesys en Libye« . Opération qui a mené, comme en ont témoigné des victimes, à la torture d’opposants dans ce pays (l’affaire est actuellement à l’instruction à Paris). Nicolas Sarkozy est également au centre d’un rapprochement périlleux et très intéressé avec le Qatar. François Hollande a fait la preuve de la « continuité de l’Etat » en poursuivant la très bonne relation entretenue par notre pays avec le Qatar. A tel point que l’une des premières personnalités rencontrées par François Hollande au cours du premier mois de sa présidence n’était autre que le premier ministre qatari. Cette proximité avec ce petit Etat n’a jamais pâti du tombereau d’articles documentés pointant le soutien implicite ou direct des autorités au terrorisme. Mais maintenant, tout ça c’est fini. Nicolas Sarkozy et surtout, François Hollande qui est aux manettes, sont devenus Charlie. Le terrorisme n’a qu’à bien se tenir. Et aider des Etats policiers (comme le Maroc ou le Qatar) à traquer leurs opposants, c’est f-i-n-i. Ou pas…

sarkozy-qatar

Le rôle de nos présidents successifs dans le domaine du renseignement est essentiel. Cette branche agit selon un agenda politique. C’est l’exécutif qui détermine la politique du monde du renseignement français. Pas le pouvoir judiciaire ni le législatif. Quand les services français ont décidé de prendre sous leur aile Qosmos et Amesys, cela ne s’est pas fait sans appui politique. L’implication de l’équipe rapprochée de Nicolas Sarkozy est désormais acquise au vu des documents publiés. Les investissements du FSI dans Bull et Qosmos ne sont pas anodins. C’est une décision politique. Quand s’est dessinée ce que nous avons appelé la théorie abracadabrantesque, qui consistait sans doute à vendre à n’importe qui (y compris des terroristes condamnés comme tels) des outils permettant une mise sous surveillance de tout un pays -même dictatorial ou policier, c’est une décision politique. L’enjeu était alléchant. Sur le papier.

On allait disposer d’une infrastructure permettant une délocalisation des écoutes. Le rêve… Plus de cadre juridique contraignant. L’accès aux données de n’importe qui, n’importe-où.

Le premier client était emblématique. La Libye de Kadhafi. Avec comme interlocuteur d’Amesys, Abdallah Senoussi, le beau-frère du colonel. Un type charmant, condamné en France par contumace pour terrorisme en raison de son rôle dans l’attentat du DC 10 d’UTA. Le même Senoussi qui fut au centre d’une intense activité des proches de Nicolas Sarkozy dans le but de faire annuler sa condamnation.

qosmamesys

Mais le système de surveillance massive d’Amesys ne pouvait se limiter à un seul client. Le Qatar, autre pays riant et respectueux des Droits de l’Homme a acquis cette technologie. Là-bas, le projet portait le nom « Finger » (doigt) en référence à une barre chocolatée et au nom de la capitale, Doha (prononcez Doigt). Comme nous l’avions écrit en novembre 2011, Amesys a vendu au Qatar un Eagle, cet outil de surveillance massive. Le « client », l’interface d’Amesys, si vous préférez, est très probablement le State Security Bureau qui réglait à Amesys 1.084.950 euros fin 2011. Cette entité ne doit des comptes qu’à l’Emir, une vraie composante démocratique d’un Etat démocratique.

Bien entendu, Philippe Vannier, le patron d’Amesys n’a jamais été inquiété pour sa vente de produits de surveillance massive à des dictateurs ou des Etats policiers. Droite, gauche, peu importe, on passe l’éponge. Mieux, il a été largement récompensé pour son oeuvre. Le gouvernement l’a laissé prendre possession de Bull, fournisseur officiel de la DGSE ou du CEA. Sachant combien ces deux organisations sont essentielles pour l’Etat, une prise de contrôle de Bull ne pouvait se faire sans un aval gouvernemental. Quant à Qosmos, sa « business unit » Kairos est dédiée à la DGSE. Bref, les murs sont poreux entre gouvernement, services de renseignement, sociétés de surveillance, ventes à des pays pas du tout démocratiques ayant des liens avec le terrorisme, les arrangements sont… Massifs, également.

Nous avons donc des Charlie comme Nicolas Sarkozy ou François Hollande qui de la main gauche tapent sur les terroristes tout en jouant du menton, et qui de la main droite, tissent des relations très étroites avec les pays qui le soutiennent. C’est la magie des relations internationales, de la diplomatie. Observez bien l’air grave, la compassion affichée avec les morts de Charlie Hebdo, les policiers, les inconnus des 7 et 9 janvier. Maintenant, pensez aux deux présidents et aux « magouilles » diplomatiques, économiques et de « relations internationales » entamées avec des pays connus  -en dépit des dénégations des uns et des autres- pour leur leur proximité avec des mouvements terroristes.

Photo : Orban-Pool/Sipa/Rex

Photo : Orban-Pool/Sipa/Rex

Et si vous avez un peu de temps, vous pouvez aussi revoir le documentaire Syriana qui tente d’expliquer le chaos dans lequel les « dirigeants » politiques et économiques plongent le monde. Certains pour le pouvoir, d’autres pour l’argent. Ceux qui payent le prix sont toujours les mêmes.

Forker Podemos ?

Wednesday 14 January 2015 à 16:35

podemos

Je partage l’avis de Yovan Menkevick sur le fait qu’il faille un peu plus se préoccuper de Podemos qui me passionne depuis quelques mois, bien que je n’ai trouvé que trop peu d’informations consistantes (telles Alencontre, Contretemps, Global Voices, Paul Jorion…) disponibles pour qui ne parle pas espagnol.

Réfléchir à forker Podemos ouvre toute une série de questions.

Bien qu’essentielles, je laisse de côté celles des conditions de possibilité historiques, sociologiques (charismatiques ?) qui ont amené l’émergence de ce mouvement en Espagne, bien différent de Syriza; le premier ayant su créer une dynamique d’aller-retour entre le centre et une base nettement plus auto-organisée.

Je laisse également de côté la question des lieux du politique. Oui, il faut que les gens puissent se rencontrer en chair et en os. Même s’il y a moins de cafés que précédemment, de nombreux lieux existent; privés, mais surtout publics, à réinvestir comme le propose Sophie Wahnich.

La question que j’aimerais mettre en débat est celle des éléments software qui peuvent faciliter l’émergence et l’organisation à long terme d’un Podemos. Il ne s’agit pas des explications et de l’adhésion que peut obtenir un député autour d’un projet de loi comme le propose Parlement et citoyens par exemple mais bien d’un autre mode de fonctionnement.

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité nous disposons grâce à l’informatique d’une capacité de diffusion dont le coût n’est pas lié à la quantité et d’une puissance de calcul et de communication qui sont susceptibles de rassembler, mobiliser, relier, prendre des décisions… Et pourtant, trop souvent une mobilisation s’opère sans parvenir à durer où à se relier à ses sœurs ou cousines. La multiplication des feux de pailles risquant alors d’avoir un effet démobilisateur.

La simplicité du concept de base de Podemos offre l’avantage de pouvoir structurer un très grand nombre d’initiatives et de renforcer les compétences mutuelles. Deux type de cercles existent : les cercles basés sur une communauté géographique et ceux sur une communauté d’intérêt ou de compétence. Quand le cercle de Monvillage s’interroge sur la gestion communale de l’eau, il peut faire appel au cercle des scientifiques spécialisés en la matière. De même celui-ci peut réfléchir à des propositions générales qui peuvent concerner de nombreux villages, un région, le pays tout entier.

Ce système de cercle ne règle pas pour autant la manière dont circule l’information, s’opèrent les modes de décision au sein d’un cercle, entre les cercles ou entre le centre et les périphéries. A trop vouloir les structurer, le système perdrait sa créativité tout comme il risque d’éclater s’il n’a aucune structure.

Le mode de structuration d’un mouvement influence son développement. Sur quels outils un Podemos pourrait-il s’appuyer? Celui-ci ou un autre, ici ou ailleurs, la question restera similaire tout comme la responsabilité des geeks et autres codeurs.

Quels outils ? Petite ébauche pour ouvrir à cette discussion:

S’informer

Le niveau basique de l’information permet à chacun d’entrer dans un domaine, d’acquérir une connaissance minimale qui va lui permettre de saisir peu à peu les enjeux et leur complexité.

Le wiki a fait ses preuves comme modèle d’organisation de cette information. Il oblige à être didactique, à séparer ce qui relève du factuel (ou de ce qui fait consensus) de ce qui relève du débat, pousse à la participation, invite à une socialisation des moyens de production. Sa construction même relève déjà d’une démarche qui nécessite discussion, accord… La lourdeur de Wikipedia ne doit pas remettre en question le modèle proposé.

De multiples wiki existent déjà ou pourraient voir le jour dans les différents domaines concerné par des cercles.

Au delà de l’information de base, reste l’immense flux des informations de ce qui relèvent des débats en cours, de l’actualité, des nouvelles découvertes et que l’on retrouve sur les blogs, certains sites d’info, dans les hashtags… Autant dire que s’y retrouver n’est pas choses simple, le flot du trop d’information venant étouffer l’information pertinente. Quels outils de curation utiliser? Est-ce rêver que d’imaginer une grammaire évolutive des hashtags, des systèmes d’autocomplétion?… Peut-être un cercle peut-il se construire son Seenthis, mais cela n’est néanmoins pas à la portée de tout le monde et l’aspect rhizomique manque. Comme on le voit, ce premier niveau, d’éducation permanente, pourrait-on dire manque déjà d’outils.

Faire réseau, tisser des liens, se compter

Comment savoir que dans le village voisin quelqu’un partage mes préoccupations?

On notera que dans la pratique, Podemos, tout comme les printemps arabes, occupy wall street, etc… utilisent très préférentiellement Facebook et Twitter. Il est indispensable de tenir compte de cette donnée, même si, comme on le sait, elle pose d’énormes problèmes en terme de blocage, pistage, référence auprès d’un futur employeur, manipulation< de l’information,…

Seenthis, mentionné plus haut peut déjà servir à faire réseau. Certes, il y a des alternatives à Facebook: Diaspora, Ning (sans compter les dizaines d’initiatives qui naissent et meurent Path, Bebo, App.net ). Néanmoins, la (très dure) donnée de base dont il faut tenir compte réside dans le fait que les gens vont là où est déjà leur réseau : sur Facebook. C’est la raison pour laquelle je partage la position de Peter Sunde qui estime nécessaire de construire un réseau social alternatif qui soit interopérable avec Facebook. Nous y reviendrons.

Délibérer – Décider

Une fois informé, il y a lieu de débattre et de décider. Plusieurs softs tentent de contribuer à cette aide à la décision: Loomio et Appgree (utilisés par Podemos), Liquid-feedback (Parti Pirate Allemand), Getopinionated (Parti pirate belge), etc. On peut retrouver quelques listes (celle de l‘Electronic direct democracy et celle de Michael Allan sur Zelea) qui tentent de comparer modalités, avantages de ces softs. Ici, l’expérience concrète de Podemos serait précieuse. De quel soft une assemblée non-geek peut-elle se saisir ? Et éventuellement quelles améliorations apporter. Un cercle élargi autour de ces questions serait d’ailleurs utile car décider via une démocratie délibérative, débattante, participative dépasse largement les questions de référendum s’avère particulièrement complexe ( cfr p ex. Alban Bouvier ).

Se mobiliser, agir

Se mobiliser, mener une action, construire un projet nécessite également des soft. Qu’il s’agisse d’organiser une manifestation, traduire un texte, aménager un lieu, rédiger un projet… Comment rassembler un certain nombre de ressources autour d’un objectif donné. L’objectif est similaire à celui visé par les sites de crowdfundig, tels Kikstarter ( plus de 700 plate-formes existent, quelques unes sont opensource) à la différence du fait qu’il ne s’agit pas seulement de ressources financières. L’objet serait plutôt une système de petites annonces indiquant thématique (#), ressources nécessaires, localisation,… Chacun ayant la possibilité de s’y abonner et d’indiquer qu’il participe au projet.

Outre son aspect utile à l’action, ce type de soft offrirait l’avantage d’être indirectement pédagogique : fixer des objectifs, préciser des ressources, une temporalité… Facebook permet de dire qui participe à un événement; j’ai vu passer des soft qui aident à organiser une fête; mais je n’ai rien vu (et vous?) alliant à la fois gestion de projet, Boncoin et Indiegogo.

Contrôler

Comment les décisions prises s’acheminent dans un processus législatif? Sur ce point, les outils de La Quadrature du Net constituent déjà une bonne avancée.

Et alors ?

Des softs pourraient donner un coup de pouce à un Podemos, mais cela implique que les geeks sortent de leur village gaulois où le jeu de go apprend qu’on ne peut qu’y mourir. Cela implique que l’interopérationalité doit être une priorité. Le modèle de Textsecure est idéal: envoyer un sms comme d’habitude et sécurisé vers un autre utilisateur de Textsecure. Certes, c’est plus simple avec le système de SMS que Facebook, mais de nombreux modèles du libre existent grâce à cette l’interopérationalité (les live session ou multiboot de linux, les apkdownloader, etc…).

Il ne s’agit pas seulement créer des passerelles mais aussi de parler latin, c’est nettement moins précis que le code gaulois mais si on veut être compris par tout le monde…

Pour poursuivre dans la métaphore d’Astérix (ou celle de l’avant garde du prolétariat, ou celle de l’aristocratie), la tribu isolée va à l’encontre de tout mouvement politique, lequel implique toujours de devoir sacrifier une partie de son vouloir pour construire un vouloir commun. Internet permet autant de rassemble que de diviser. Il est effrayant de voir à quel point sont redondants nombre de blogs, initiatives, forks, sans compter les versions de Linux dont la multiplicité nuit à la propagation.

Mettre de l’énergie dans les softs qui aideraient un Podemos et en les utilisant soi-même pour élargir (et partiellement unifier) une communauté serait peut-être une contribution utile à un fork de Podemos.

Bonne annéé !

Internet sera t-il la prochaine victime de l’obscurantisme et de la haine ?

Tuesday 13 January 2015 à 19:32

internet_love2Notre premier ministre Manuel Valls avait très tôt évoqué des failles de nos services pour expliquer les attentats qui ont frappé la France la semaine passée. On ne peut que le rejoindre sur ce constat mais encore faut-il correctement identifier les failles maintenant. Et le discours qu’il vient de prononcer devant l’Assemblée Nationale, certes emprunt d’improvisation et de beaucoup d’émotion, laisse entrevoir en filigrane une perception effrayante de ce que certains esprits préconisent sans détour : un Patriot Act à la française, même si le premier ministre avance préférer « des mesures exceptionnelles à des lois d’exceptions ».

L’idée d’un Patriot Act à la française est effrayante car elle revient à normaliser une loi antiterroriste, une loi d’exception… et en promulguant une loi d’exception, on prend un risque énorme : le risque c’est de se passer d’un juge, se passer d’un juge, c’est risquer de céder à l’arbitraire et l’arbitraire ne peut pas devenir la norme dans notre pays.

Les lois antiterroristes, ça rassure, mais il ne faut pas perdre de vue qu’une démocratie républicaine comme la notre est très soluble dans ce genre de lois d’exceptions… ou de mesures exceptionnelles. Et pour paraphraser Maître Eolas, si le Journal Officiel arrêtait les balles, depuis le temps, ça se saurait.

Il y a donc un moment où avant d’apporter une réponse à un problème, il faut reformuler attentivement la problématique, dans toute sa brutalité, pour être assuré d’apporter des solutions aux problèmes, sinon on cède à la tentation de réparer quelque chose qui fonctionne bien et on casse encore un peu plus ce qui constitue les piliers de notre équilibre républicain. Et aujourd’hui, Internet est l’un de ces piliers. Il est aussi l’un des piliers de l’équilibre et de la paix dans le monde, parce qu’il permet aux gens de communiquer. Et les gens qui communiquent ne se font pas la guerre.

Entendre de la bouche notre premier ministre « cet antisémitisme né d’Internet » est aujourd’hui presque aussi effrayant que les attentats qui nous ont tous endeuillés. Non l’antisémitisme n’est pas né d’Internet.

Retenons l’idée avancée par Manuel Valls d’un cadre légal pour la surveillance, un processus déjà initié qui est aujourd’hui plus que jamais une nécessité, donnons nous les moyens de palier les problèmes qui sont autant de terreaux fertiles à la propagation de la haine…

Mais ne faisons pas de stupides raccourcis et rejoignons Robert Badinter quand il évoque « un piège que l’histoire a déjà tendu à nos démocraties« , entendons ces mots et reconnaissons Internet tel qu’il est vraiment : un espace d’échange, de dialogue et de paix.  Internet n’est pas le Far West, Internet n’est pas un champs de bataille, Internet est à ce jour la plus belle image contemporaine du siècle des lumières.

Mesdames, messieurs les parlementaires, ne faites pas d’Internet la prochaine victime, de l’obscurantisme, de la haine et de la bêtise, prenez en soin, nous n’avons pas plus besoin d’un cyber Patriot Act que d’un Cyber Guantanamo.

<3 Make cyber love.

Charlie Hebdo : les origines du crime doivent-elles être discutées ?

Tuesday 13 January 2015 à 18:19

banlieue

Les épouvantables massacres dans les locaux de Charlie Hebdo et dans l’hyper casher ont créé une émotion massive et compréhensible.  La plupart d’entre nous sait au fond de lui que ce crime est double puisqu’il n’est pas seulement un drame humain : il a une forte portée symbolique. Venir massacrer des artistes, des journalistes, parce que leurs publications sont considérées comme offensantes est un acte qui touche les fondations mêmes de notre société. Se contenter de faire ce constat, appeler à ne pas « faire d’amalgames », vouloir rappeler les valeurs fondatrices de la société, occuper l’espace public dans une démonstration forcément éphémère, sont autant de réactions naturelles et compréhensibles — mais qui ne permettront en aucune manière de trouver une issue satisfaisante à la nouvelle situation dans laquelle nous sommes tous désormais plongés. Une nouvelle situation, ou bien surtout — et avant tout — un constat très embarrassant ?

Des époques différentes

Ce « crime contre l’irrévérence » aurait semblé inenvisageable à d’autres époques. Il n’a d’ailleurs jamais trouvé d’équivalent. Des époques, où pourtant, sévissait Hara Kiri, avec des provocations encore plus offensantes que celles du Charlie Hebdo actuel. Une époque où les magazines Pilote, Fluide glacial, et d’autres pratiquaient un humour au second, voire troisième degré très limite, et se perdaient parfois dans des tréfonds humoristiques que le plus futé des lecteurs n’était pas toujours en mesure de parfaitement décrypter. Que s’est-il passé, pour que des individus, en 2014, ne puissent plus supporter la satire, la provocation humoristique, au point de massacrer à la Kalachnikov ceux qu’ils considèrent comme leurs « offenseurs » ?

La société actuelle est profondément différente de l’ancienne. Le monde, dans son ensemble est différent. De nombreux éléments différencient ces deux sociétés, et l’on peut citer pèle-mêle : l’accroissement des inégalités, l’augmentation de la pauvreté, l’ascenseur social en panne, la globalisation des échanges et de l’information, la précarité sociale massive, les problèmes d’accès au logement, la getthoisation d’une part toujours plus importante de la population, les renoncements de l’éducation nationale, les politiques d’intégration en échec. Ces constats n’ont pas vocation à justifier des actes, soyons bien clair. Mais refuser de réfléchir au contexte qui peut [permettre, pousser] faire, [les verbes sont difficiles à choisir]   « basculer » des individus est le meilleur moyen pour les citoyens de se laver les mains et inciter d’autres criminels à faire de même. S’il y a refus de réfléchir à notre part de responsabilité, nous rentrons dans un autre monde, celui de la pensée politique de Georges W. Bush. Une pensée constituée d’un monde binaire et violent, où celui qui h’est pas « avec » est « contre », où le bien et le mal sont traités sans nuances. Dans ce cadre de pensée, le mal devient l’autre, et cet autre c’est l’Arabe. L’Arabe radicalisé, l’Arabe des banlieues, l’Arabe musulman, l’Arabe fou, l’Arabe djihadiste. Le tout étant mêlé à souhaits.

Endoctrinement : que fait la République ?

Les deux criminels qui ont massacré l’équipe de Charlie hebdo, comme celui de l’hyper casher, sont issus des mouvements djihadistes, l’un d’eux ayant été combattre en Irak il y a plusieurs années. Ces individus, leurs croyances et leurs actes sont le fruit de plusieurs phénomènes, dont l’un d’eux est central et pourtant très peu discuté : l’endoctrinement wahhabite. Le salafisme, courant  politico-religieux sectaire issu du wahhabisme (le fondamentalisme sunnite d’Arabie saoudite, ndlr), est un cheval de Troie qui « travaille » les corps sociaux et politiques de nombreux Etats du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et du Moyen-orient depuis des décennies. Le créateur et chef d’Al-Quaïda était saoudien, et son djihad planétaire était la main armée du wahhabisme saoudien. Son  nom était Ben Laden. Il fut entraîné, soutenu dans les années 80 durant la guerre d’Afghanistan par les Etats-Unis d’Amérique pour lutter contre l’Union soviétique. Il faudrait plusieurs articles pour décrire la pensée politique et « religieuse » des fondamentalistes wahhabites, mais ce qu’il est important de retenir est le principe d’un islam illuminé et rigoriste, un islam politique, alimenté par des « prêcheurs » saoudiens qui indiquent à leurs fidèles comment se comporter, agir, etc. La branche armée de cet islam dévoyé et sectaire pratique l’un des djihads, celui qui appelle à la guerre, une guerre religieuse contre d’autres musulmans la plupart du temps, afin d’imposer par la force leurs règles dans un territoire supposé être celui de l’accomplissement d’une prophétie : le Levant, donc la Syrie.

Comme toutes les sectes, le wahhabisme a besoin de recruter des adeptes. Aidés de financements saoudiens, des « barbus » salafistes recrutent, en France, parfois aux vues et au sus de tous. Une travailleuse sociale d’île de France (qui souhaite rester anonyme, ndlr), interrogée sur ce phénomène, explique cette situation :

« Les types, des barbus typiquement habillés en salafistes, avaient des petits stands avec des bouquins religieux, juste à côté de l’école, et recrutaient devant les policiers en civil de la BAC qu’on connaissait très bien. Les flics ne faisaient rien, mais par contre, ils contrôlaient et fouillaient en permanence nos étudiants d’origine maghrébine. C’était en 2008, ça a duré 1 an. On a vu certains de nos étudiants montrer quelques signes d’adhésion à cet islam bizarre et intolérant. Du jour au lendemain, les barbus ont disparu. L’Etat n’a jamais rien fait contre eux, ne les a jamais dérangés, et à l’époque, le maire était quelqu’un qui tenait et tient toujours des discours très sécuritaires…« 

Pourquoi ce courant sectaire et politique, qui finance aussi des combattants, des terroristes n’est-il pas dénoncé par les autorités françaises depuis des années, n’est pas combattu en tant que tel, et démantelé, comme n’importe quelle secte ? Le signal que pourrait renvoyer cette première approche, certes répressive, aurait le mérite de bien distinguer la secte wahhabite de l’islam, celui des musulmans, et en l’occurrence, « l’islam de France », pour faire simple.

Le wahhabisme est un mouvement politico-religieux saoudien, fondé au XVIIIe siècle par Mohammed ben Abdelwahhab. Selon cette vision puritaine et rigoriste issue de l’islam sunnite hanbalite, l’islam devrait être ramené à sa forme originelle qu’il définit selon son interprétation littérale du Coran et des hadiths. La pensée wahhabite diffère de la plupart des autres doctrines de l’Islam : elle s’oppose notamment à toute forme populaire de religiosité et, selon Abderrahim Lamchichi, prône une pratique religieuse purement ritualiste.

Cette doctrine se définit comme étant salafiste, mais les autres courants rejettent cette affirmation. Bien qu’étant largement minoritaires (selon Zidane Mériboute), les wahhabites vont jusqu’à rejeter tous les autres courants de l’Islam qui ne suivent pas scrupuleusement leurs dogmes, qu’ils considèrent comme hérétiques.

Parfois perçu, comme une secte, ce courant fondamentaliste est régulièrement présenté comme un mouvement extrémiste par les chiites ainsi que par la plupart des sunnites. (source : wikipedia)

 

Des recteurs de mosquées ont alerté les responsables politiques de ce problème, à plusieurs reprises, cherchant à stopper le phénomène parce qu’impuissants à pouvoir le faire : un recteur de mosquée ne peut pas agir de façon coercitive à l’encontre de zélateurs qui se mêlent à la foule des croyants. Et la parole, est bien entendu sans effet sur ces illuminés qui méprisent la religion musulmane puisque convaincus de détenir les clés du « véritable islam » — qui pour eux, est la soupe prophétique et sectaire qu’est le salafisme/wahhabisme.

Une société malade ?

Ce qui n’est pas traité, au delà du salafisme en tant que tel — qui n’est que le symptôme d’un malaise bien plus profond — c’est le « pourquoi » de l’adhésion de jeunes français issus de l’immigration africaine et nord-africaine (majoritairement), à ces courants radicaux. La travailleuse sociale interrogée estime pour sa part que ce phénomène se comprend, pour peu qu’on veuille s’y intéresser :

« Si on remonte l’histoire, les parents et les grands parents de ces jeunes là, sont venus en France pour travailler. Pour obtenir un « mieux » par rapport à leur pays. Ces personnes, dans les années 60 et 70 ont plutôt bien vécu, même jusqu’aux années 80. Ces personnes n’étaient pas très religieuses, la religion n’avait pas trop d’importance pour elles. Le chômage, les déplacements forcés de ces populations vers les banlieues, de ceux qui habitaient dans le centre des grandes villes, une forme d’exclusion sociale progressive, ont généré un sentiment de trahison chez ces minorités. Les jeunes, à la suite de ces phénomènes, se sont retrouvés en porte-à-faux entre le dénuement de leurs parents et leur volonté de s’intégrer. Parallèlement, depuis les années 90, l’Etat a retiré  progressivement les structures sociales de prévention, d’éducation populaire, de soutiens scolaires, d’aides à l’insertion professionnelle. Avec la crise économique de 2008, ces populations marginalisées sont devenues des boucs-émissaires du malaise général. En réaction, ces jeunes cherchent à se rapprocher de la culture de leurs parents, maladroitement c’est certain, souvent contre la volonté de leurs parents, et peuvent facilement plonger dans la radicalisation. De mon point de vue, les principaux responsables de ce phénomène ce sont les politiques sociales défaillantes et hypocrites de nos gouvernements successifs, remplacées par des politiques sécuritaires, depuis la fin des années 80. »

La fracture de société qui s’est accrue au cours des dernières années est gigantesque. Le malaise qui s’est emparé particulièrement de la « jeunesse issue de l’immigration nord-africaine et africaine » va bien au delà d’un sentiment de défiance à l’égard du système ou d’un ressentiment global. Les habitants des quartiers les plus défavorisés ne savent pas comment s’intégrer, puisque plus rien n’est fait pour que cela soit possible. Le plus paradoxal est que « la jeunesse de banlieue » n’est pas particulièrement musulmane : parler des musulmans n’a aucun intérêt lorsqu’on parle du malaise français. Cette jeunesse aime le rap, la culture américaine, et l’islam n’est qu’un élément de différenciation comme un autre. Mais aussi une marque d’appartenance. Ces jeunes gens ne lisent pas — pour la plupart d’entre eux — le Coran, ne prient pas. Ils sont musulmans pour marquer leur identité dans une société qui se désagrège, où les valeurs communes sont celles du commerce mondialisé. Où l’identité passe, la plupart du temps, par sa capacité à décrocher un diplôme et un travail suffisamment valorisé afin de participer à la grande kermesse de ceux qui possèdent les objets les plus tendances, et les plus chers, et qui peuvent s’élever socialement par l’argent.

La société française n’est plus capable d’offrir du sens collectif, ne fait plus rien pour accompagner sa jeunesse vers l’intégration sociale. Pour ceux qui ne subissent pas le harcèlement policier dû à leur origine, à leur lieu de naissance, ceux qui ne sont pas refoulés lorsqu’ils cherchent un logement ou un travail, c’est déjà un problème : comment font les autres ? Ils ne font rien, la majorité du temps. Ils ruminent. Cultivent un ressentiment quotidien à l’égard de la société qui les entoure. Une partie « tient les murs ». D’autres essayent de jouer le jeu de l’intégration, font des études,essayent de se former. Lorsque trois de ces jeunes gens, récupérés par les mouvements radicaux sont manipulés pour devenir des terroristes, passent à l’acte, c’est un sentiment à double ou triple tranchant qui s’opère : la majorité de cette jeunesse condamne, ne peut cautionner le crime, mais peut aussi renvoyer une « compréhension des outrages » commis par Charlie Hebdo. Cette jeunesse est alors prise en otage : par les meurtriers et par la réaction de la population et des politiques.

Le second degré dans l’exclusion sociale

Il est renvoyé à cette jeunesse, que « dans ce pays, la liberté d’expression est « sacrée », que le droit à blasphémer est permis, et que Charlie Hebdo avait raison de caricaturer, de se moquer de l’islam, des musulmans, même lors d’événements tragiques. La Une de Charlie Hebdo publiée sur Reflets, hier, qui se moquait du Coran « qui est nul, parce qu’il n’arrête pas les balles » — en écho à un massacre en Egypte — est excessivement difficile à interpréter. Si vous n’êtes pas concerné par les problèmes politiques du monde musulman, que vous n’avez aucun rapport avec l’islam, que ce soit par culture, transmission familiale ou conviction religieuse, que le second degré et l’humour noir font partie intégrante de votre culture, il n’y a aucun problème. Encore plus, si vous faites vous-même partie intégrante de la société française, par votre origine, même en ayant des difficultés sociales. Par contre, si vous ne réunissez pas toutes ces conditions, cette Une de Charlie peut créer en vous un certain ressentiment. Que veulent-ils dire ? Pourquoi se moquent-ils des Egyptiens massacrés ? Pourquoi se moquent-ils d’un livre sacré en même temps qu’ils moquent les morts ? Méprisent-ils les Egyptiens ? Méprisent-ils le monde arabe ? Feraient-ils la même chose si ce n’étaient pas des morts arabes musulmans, mais des morts « blancs » et chrétiens, par exemple ?

Une Education nationale qui ne fait plus correctement son travail faute d’ambition politique, des politiques des banlieues proches du néant, l’action sociale réduite année après année, l’abandon républicain des « quartiers difficiles », l’ascenseur social en panne, la parole raciste libérée (populaire, médiatique ou politique), la reproduction des élites, ne peuvent que générer une société clivée, où une partie de la population ne peut plus — ne veut plus — communiquer avec l’autre. C’est dans cette incompréhension faite de souffrance sociale et de mépris de classes que Charlie Hebdo continuait à dénoncer les errements de l’islam, à exprimer une forme de hargne envers cette religion, comme pour la plupart des autres religions, il est vrai. Mais plus souvent à l’encontre de l’Islam. Avec humour. Parfois réussi, parfois non. Ce qui était leur droit, ce qui a du sens en France. Mais qui, pris dans ce contexte mondial et national explosif, de grande souffrance sociale et économique, n’était peut-être plus la meilleure manière de créer du sens collectif, un mieux-disant social et culturel. Un humour qui ne représentait peut-être plus l’ humour qui traverse les milieux, les origines et réunit les gens, et dont nous avions besoin de toute urgence.

Guerre de civilisation ou guerre sociale ?

Les centaines de milliers de musulmans massacrés par la [politique de] guerre de civilisations contre le terrorisme de Georges W. Bush, suite aux attentats du 11 septembre — attentats qui ont causé la mort tragique de 3000 personnes aux Etats-Unis— l’ont été à cause d’une quinzaine de terroristes saoudiens. Ce n’étaient pas des « arabes musulmans », ils ne provenaient pas d’un pays de tradition musulmane, mais d’une jeune monarchie pétrolière, totalitaire, une théocratie qui suit les préceptes d’un courant sectaire créé au XVIIIème siècle. Comment, après cette réponse américaine démesurée, décalée, (et injustifiée pour l’Irak particulièrement), devrait-on « faire société » avec la minorité issue du monde musulman ? Cette question est importante. Il y a l’histoire coloniale incluse dans la problématique sociale française. L’Algérie était un département français. Il y eut le regroupement familial. Notre histoire n’est pas soluble dans la liberté d’expression, la laïcité et la lutte contre le terrorisme intégriste. Ce serait bien trop simple, bien trop dangereux d’aller dans ce sens. Et surtout, ce serait dédouaner les politiques de leur profonde responsabilité dans le drame qui est survenu, et dans l’accentuation des clivages qui ne manqueront pas de survenir.

Il est indispensable d’apporter des réponses sociales, économiques, politiques non-sécuritaires à ce problème : Daniel Cohen-Bendit, invité au concert de dimanche soir en hommage aux victimes, a proposé que 2% des recettes de la publicité pour le football soit reversés au secteur social pour aller « chercher » les jeunes des quartiers défavorisés, en leur faisant faire du foot, avec des éducateurs. Lilian Thuram était en accord avec cette proposition. L’un des frères Couachi voulait devenir footballeur, il avait débuté et abandonné une formation dans ce sens. Ce n’est bien entendu pas la seule solution au problème, mais elle en est une partie, et elle a le mérite — elle — d’exister. Avec plus de chances d’obtenir des résultats positifs que le déploiement de 10 000 militaires et le vote dans l’urgence de lois sécuritaires et liberticides.

En crachant sur leurs tombes

Tuesday 13 January 2015 à 11:53

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Si la France était Charlie dans les rues dimanche, elle semblait devenue Vichy, ce mardi dans tous les medias.

Wolinski, Cabu, Charb et Tignous ne sont pas encore enterrés que déjà se pressent ceux qui ne peuvent même pas attendre pour marcher sur leurs tombes. Au symbole de la liberté d’expression qu’ils ont été, des Cameron, Fillon, Guéant et consors opposent déjà la surveillance généralisée, l’interdiction du chiffrement et l’abandon de nos libertés en échange d’une sécurité promise.

Alors qu’à l’évidence la masse des renseignements policier dépasse de loin la capacité de traitement des services, certains semblent convaincus qu’en faisant fi de toute vie privée, nous serons mieux protégés. Mais de qui ? Comment ?

Qui peut croire que plus de surveillance nous garantira contre les actes de quelques fous suicidaires qui, même suivis et sous écoute, ont fait croire à la Police qu’ils s’étaient rangés des voitures ? Fallait-il aussi écouter leurs pensées ?

Pourquoi ne pas surveiller les OVNIS ?

Et surtout, qui nous protégera contre les dérives totalitaires inhérentes à des sociétés sous surveillance ?

Et que penser de cette volonté, affirmée partout, de contrôler Internet ? Quel rapport avec la choucroute de débiles mentaux radicalisés en prison et dans les mosquées salafs ? Pourquoi Internet et pas les bistros, le courrier postal, ou même les OVNIS tant qu’on y est ?

On aurait pu penser que la simple décence empêcherait de prononcer de tels non-sens au lendemain de la tragédie, on aurait pu croire que 4 millions de manifestants feraient taire les ennemis de la liberté. Mais qui peut encore parler de décence chez nos politiciens, qui peut oser croire encore que le peuple a toujours son mot à dire dans la façon dont il est gouverné ?

À l’évidence, il va falloir se battre, plus que jamais, pour défendre nos libertés.

Alors que nous sommes en deuil, alors que nous pleurons, qui des amis, qui des modèles, il faut déjà se relever et reprendre le flambeau tombé.

Mais d’abord, permettez-moi d’aller – encore – boire un coup à la santé des disparus.

Avant d’aller chialer sur leurs tombes.