PROJET AUTOBLOG


Reflets

Site original : Reflets

⇐ retour index

Le président du bureau vide et le monde du XXIème siècle

Monday 5 January 2015 à 15:40

-

Il y a des dizaines de raison qui expliquent le mécontentement des Français à l’encontre du président François Hollande. Les commentateurs, les sondeurs tentent d’ailleurs en permanence de faire la synthèse de ce désenchantement français avec de savantes analyses qui n’expliquent peut-être pas tout. L’une des raisons qui n’est pas abordée à propos du désamour des Français à l’égard de François Hollande, est peut-être logée dans un phénomène inconscient mais important, celui d’une sensation de vide. Un vide à plusieurs niveaux.

Mais qui est-il, et que fait-il ?

La Vème République a été taillée sur mesure pour le Général De Gaulle en 1958. Cette République, présidentielle, concentre donc par essence le pouvoir entre les mains d’un homme, le président. Ce qu’il dit, exprime, fait, son attitude — ont une grande influence sur la confiance du pays. Tant auprès des électeurs que des acteurs économiques, sociaux, institutionnels. Et la confiance est devenue une sorte de poumon des démocraties post-industrielles mondialisées.

l-agenda-du-type-qui-squatte-l-elysee

François Hollande renvoie des sentiments déplaisants au public, dans une large mesure, lors de ses interventions. L’avant dernière en date était télévisuelle, et représente à elle seule la singularité du système politique français et de son chef de l’Etat. Le président énonçait ses vœux pour l’année 2015. Dans un décor vieux de plusieurs siècles, couvert de dorures monarchiques, à l’Elysée, le président de la cinquième économie mondiale a parlé à « son peuple », assis derrière un grand bureau en bois précieux…totalement vide. Impressionnante vacuité du monarque républicain qui n’offre comme image de son travail que celle d’un bureau vide. Pas d’ordinateur, ni dossiers, ni papiers, rien. Un bureau, le même que celui où était assis le Général De Gaulle en 1958. Sans rien dessus.

Théorie de la vacuité

Il y a plusieurs explications possibles à cette incroyable attitude présidentielle en total décalage avec l’époque, les mœurs, et surtout  la réalité de cette moitié de deuxième décennie du XXIème siècle. Soit François Hollande est une marionnette qui n’existe que parce qu’il est obligé d’apparaître et de laisser entendre qu’il travaille (comme un chef d’Etat doit le faire) — mais a oublié d’essayer même de le démontrer — soit François Hollande vit dans un autre siècle. Le précédent. Soit les deux. Mais ce qui reste stupéfiant, et ne peut que créer un malaise, une grogne, de l’agacement, voire de la colère, c’est la parfaite inconscience de cet homme élu par des millions de personnes. Hollande parle comme un homme qui vivrait ailleurs, dans une autre sphère, un autre temps. Il répète, scande des phrases lisses, communiquées par avance et entièrement accolées à des réalités purement statistiques. C’est un jeu que pratique François Hollande — un jeu qui passe par des sondages d’opinion, des informations considérées comme importantes par les spin doctor — un jeu de dupes avec la foule.

spin-doctor
Le président français est un mauvais comédien, c’est certain. Il énonce son désir de dynamisme derrière un bureau vide. Il est très difficile de travailler tout en étant dynamique avec un bureau vide. De devoir écouter des conseillers qui passent leurs journées à fouiller l’information pour tenter de faire passer des pilules et faire basculer les sondages ou tenter d’inverser des courbes. Une sorte de management à distance. Un homme qui n’a jamais dépassé l’époque des machines à écrire et du stylo à plume s’essaye à diriger un pays qui a basculé dans l’ère des réseaux informatiques d’information ? Vacuité d’un énarque diplômé en 1980, à l’époque de la télématique, face au fourmillement des espaces numériques ?

Deux heures au micro de France Inter : il baille

Bien entendu, se focaliser sur des détails comportementaux d’un chef d’Etat est réducteur. Mais quand la politique ne fait plus de politique, qu’elle ne fait que remplir du vide avec du vide, que reste-t-il en terme de compréhension, de sens ? Les différentes réformes dont parle François Hollande à chaque fois qu’il intervient dans l’espace médiatique ont toutes été analysées à la loupe et ne parviennent à convaincre personne. Ce ne sont pas des réformes, mais des aménagements techniques que n’importe quel gouvernement technocratique pourrait opérer.

on-en-est-la

Celui qui se veut leur instigateur, le président, vient donc faire une sorte de service après-vente, ou avant-vente, comme n’importe quel commercial pourrait le faire pour le compte d’une entreprise qui tente de vendre ses produits au plus offrant. François Hollande se pose des questions à lui-même à l’antenne de France Inter, et y répond, exactement comme le faisait Nicolas Sarkozy. La seule nuance est la forme, le plus souvent interrogative, tandis que l’ancien président était un féru de la forme interro-négative. Une rhétorique pratique pour ne pas développer une réponse directement reliée à une question, puisque l’on reformule sa propre interrogation. Le discours du vide dans l’auto-questionnement sur le néant. Au point de bailler très fortement au micro. Il faut dire que tout ça est très fatiguant, à la limite de l’ennui absolu. Pour lui, comme pour les auditeurs.

Simplification : et si on simplifiait Hollande ?

hoho-spindoctor

Le président de la simplification — dont l’ennemi était la finance — celui qui une fois président refuse d’appliquer son programme, n’est pas très content qu’on lui rappelle ses renoncements. Il parle du « travailler plus, en travaillant le dimanche », de la « loi de dérégulation d’Emmanuel Macron », des « pactes de baisse des charges sur les entreprises » comme si tous ces aménagements législatifs (normalement propres à la droite) des fonctionnements du XXème siècle allaient faire basculer la société dans le XXIème. Ce qui est le plus étonnant, c’est que l’homme qui travaille derrière un bureau vide sans ordinateur est certainement l’un des derniers à vivre encore au XXème siècle. Et si François Hollande veut simplifier, il serait peut-être intéressant de lui proposer une simplification centrale et incontournable : celle de la constitution et du présidentialisme. Evacuer ce président ou le remettre à une place bien moins centrale, laisser la population participer à la vie démocratique et exprimer de façon plus ouverte ses choix, moderniser tous les appareils d’Etat et remettre les élus à une place qu’ils devraient avoir : celle de simples citoyens qui durant un seul et unique mandat, peuvent être au service de la collectivité.

Le président du grand bureau vide en bois précieux est-il en mesure d’entendre ce types de changements, lui qui se définit encore comme le « président du changement » ? Rien n’est moins certain. A moins que la situation de François Hollande ne finisse par se simplifier de façon dramatique ? C’est quand on est acculé qu’on peut donner le meilleur de soi-même. Oui, mais si l’on est vraiment en charge des affaires. Ce qui reste à démontrer.

12 cigarettes (3)

Sunday 4 January 2015 à 19:32

dtq2jkt9

Partie 3 : volutes

Il y a mille et une manière de fumer. La tenue de la cigarette, par exemple. Elle peut se faire entre le majeur et l’index, ou bien entre le pouce et l’index. La main tournée vers le haut ou bien vers le bas. Les bouffées peuvent être rapides et courtes, ou anxieuses ou bien encore longues et apaisées : chaque fumeur crée son univers de fumée avec ses propres règles. Les volutes de fumées ne sont jamais les mêmes. Jamais. Aucune n’est identique. La sensation change — elle aussi — au cours du temps, et c’est lorsque j’enflamme la septième cigarette qu’une véritable mutation s’opère, pour moi, en moi. La fumée de cette septième cigarette n’est plus la même, mon goût est modifié par l’accumulation des saveurs des six autres et une fatigue commence à se faire sentir. Mêlée d’un apaisement. Je la fume plus lentement. Je sens la fumée s’accrocher dans ma gorge un peu irritée, la chaleur de chaque bouffée est plus intense. Je vois le monde à travers le voile bleu qui sort de ma bouche, il s’efface un peu, s’éloigne. Puis la brûlure caractéristique de la dernière bouffée conclut la septième cigarette. Je sais qu’il me reste moins que la moitié de mon existence. Immanquablement.

*  *

Le médecin se décida à poser la question, il commençait à s’impatienter, tout en sachant très bien qu’il devait en savoir plus.
— « Nous sommes-nous déjà rencontrés ? »
Elle savait qu’il lui demanderait ça. La sensation de déjà-vu l’avait envahi. Immanquablement.
Sa réponse, préparée d’avance, était un élément crucial.
— « Non. Mais oui, en quelque sorte. »
— Je ne comprends pas. Comme la date de demain. Vous ne m’aidez pas, et je ne sais pas si nous allons… »
Il fallait qu’elle l’empêche de se rétracter. Immédiatement.
— « Je vais vous l’expliquer, si vous acceptez d’entendre des choses qui pourraient vous paraître délirantes. Et je sais bien que c’est votre métier de traiter le délire, ce n’est donc pas évident pour moi, vous comprenez. Vous acceptez d’entendre mes explications ? »
Il soupira. La rampe de leds clignota un peu comme sous l’effet d’une baisse de tension électrique. Le visage de la femme avait changé sous l’effet du clignotement lumineux. Il était plus masculin. Plus acéré. L’inquiétude commençait à s’insinuer en lui, mais sa curiosité était piquée au vif. Le médecin déglutit et lui répondit de la façon la plus posée qu’il pouvait. Il avait eu affaire à des personnes bien plus inquiétantes au cours de carrière, se dit-il intérieurement :
— « Bien entendu. Je vous écoute. »
— « La date de demain est importante pour lui, et en réalité pour nous, mais c’est lui qui l’a déterminée. Vous comprendrez quand je vous aurai expliqué mieux qui il est, et ce qu’il a fait. Nous ne sommes jamais rencontrés, docteur, et vous pourriez passer le restant de vos jours à chercher — façon de parler — si vous m’avez déjà vue auparavant, et vous n’arriveriez à rien. Le seul problème, est qu’en vous, quelque chose vous dit que vous me connaissez, et — peut-être même — que c’est surtout cet instant que vous connaissez déjà. » Elle avait accentué le « déjà » final, qui fit cligner un œil du médecin. Il pencha la tête de côté :
— « Un déjà-vu, vous voulez dire ? »
— « Oui, appelons-le ainsi, si vous voulez. Vous connaissez ce moment, vous avez l’impression de revoir la scène, comme si c’était un film, n’est-ce pas ? Ne me répondez pas, ce n’est pas important. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, comme je vous le disais, et pourtant, nous avons déjà vécu cet instant… disons… un milliard de fois ? Il faut que je refasse le calcul. Mais je sais que je dois vous expliquer qui il est. Sinon, ça ne servira à rien. Sinon, nous recommencerons. »
Le médecin se sentait très mal à l’aise. Il fit un geste de la main pour lui demander d’interrompre son monologue et lui demanda d’une voix un peu tremblante :
— « Je peux prendre quelques notes ? Vous enregistrer ? »
— « Tout ce que vous voulez, docteur. »
Il sortit un pad, le manipula rapidement, et reprit contenance, un sourire figé sur les lèvres.
— « Je vous écoute. »
— « Tout a débuté il y a 7 ans, en 2035, au CERN. Il travaillait sur le nouveau C-Quantum. Il était très doué, certainement le plus doué. Vous connaissez les calculateurs quantiques, docteur ? »
Il hocha la tête.
— « C’était un mathématicien, devenu codeur quantique. Il y a très peu de personnes capables de programmer ces ordinateurs. Très peu. » Elle sentit sa lèvre inférieur se mettre à trembler alors qu’elle finissait sa phrase. L’émotion commençait à l’envahir. Il fallait qu’elle se contrôle.
Le médecin tapotait devant le pad. Il s’arrêta et attendit.
La fumée de cigarette emplissait l’espace de la chambre d’isolement, quelques dizaines de mètres plus loin.

12 cigarettes (2)

Friday 2 January 2015 à 19:16

12-cigarettes-23

Partie 2 : Petite enfance

La première bouffée de la première cigarette plonge le fumeur dans un chaos de sensations. La tête tourne, la gorge s’enflamme, le monde s’amplifie comme si la fumée le rendait plus réel. C’est un moment étonnant, et j’aime le revivre, chaque matin. Je découvre le monde. Ma naissance est celle du monde, je me confonds avec lui et cette première fumée d’origine. La petite boite en argent ne contient plus que 11 cigarettes. Le ciel a changé de couleur. Il est bleu. Jusqu’à ce que j’allume la deuxième cigarette. Celle de la petite enfance. A 10h. Cette deuxième cigarette est toujours âcre, bien que mon palais ait gardé le goût de la première. Elle dégage plus d’arôme, se diffuse plus profondément en moi. Je crois que je l’apprécie encore plus que la première. La deuxième cigarette, celle de la petite enfance est une cigarette de l’exploration. Des sens, de l’espace. Je regarde la porte blanche qui ferme la pièce à travers le nuage de fumée et je souris. Il ne peut plus rien m’arriver. Ni à moi ni à personne. Je ferme les yeux et aspire une nouvelle bouffée.

*   *

— « Vous pouvez m’expliquer pourquoi nous ne pouvons rien, comme vous dites, pour les cigarettes ? »
Elle s’était reprise, avait calmé sa respiration. Elle ne devait pas s’emballer, elle le savait. Combien de fois avait-elle répété cette situation ? 20, 30, 50, 100 fois ? Elle devait réussir. Immanquablement. elle regarda le médecin droit dans les yeux et lui parla d’une voix calme. La plus apaisante qu’elle pouvait.
— « Il y a cette boite en argent qui contient les 12 cigarettes et les 12 allumettes. Vous la trouvez tous les matins remplie, n’est-ce pas ? »
Le médecin sembla hésiter, puis répondit comme à contrecœur :
— « Oui »
— « Et ça ne vous inquiète pas ? Vous ne trouvez pas ça étrange, inquiétant ? »
— « Comment pouvez-vous savoir ? »
— « Je vous le dirai quand j’aurai la garantie d’avoir un accès jusqu’à lui. Mais vous ne m’avez pas répondu : vous n’êtes pas inquiet pour les cigarettes ? »
Le médecin cligna des yeux. Une goutte de sueur perlait du haut de son front, elle commença à glisser vers le sourcil gauche. Il n’y avait aucun bruit. Il lui répondit d’une voix neutre. Peut-être trop neutre.
— « Je ne suis pas là pour parler de mes émotions, vous le savez bien. Il fume les cigarettes, et je n’ai pas de doute sur le fait qu’il les fumera encore demain »
Elle répondit du tac au tac :
— « Et bien moi, je crois que c’est là que vous trompez gravement, docteur, justement »
— « Pourquoi ? »
— « Parce que nous sommes le 3 février. Et que par conséquent, demain nous serons le 4…»

Le médecin regarda plus attentivement le visage de la femme assise en face de lui et se dit que ses traits lui disaient quelque chose. Mais quoi ? Une rencontre ? Le réseau ? Une publicité ? Peut-être autre chose. Comme un déjà-vu. Oui, c’était certainement ça. Un déjà-vu.
La troisième cigarette devait être déjà allumée. Avant 11 heures. Immanquablement.

De la fragilité de la liberté (fin) : dream, sex and hope

Friday 2 January 2015 à 18:55

wall2

Ken Follet, dans ce troisième tome, s’attache à la deuxième moitié du vingtième siècle et nous livre une fresque de l’affrontement des deux blocs et du monde terrifiant que cette guerre froide laisse entrevoir. Malgré la dangerosité de la situation, les identités s’affirment et les minorités de tout bord luttent fermement pour leur égalité et leur liberté.

Quand la non violence semble être la solution

Aux Etats-Unis, la société s’apprête à changer mais cela ne se fait pas sans résistance. Du côté de la population noire, la colère gronde et l’injustice devient insupportable. L’affaire Rosa Parks, la création de la SCLC par Martin Luther King, la naissance du mouvement de Malcolm X, le décret par J.F Kennedy instaurant la discrimination positive sont autant de signes qui laissent envisager l’arrêt de la ségrégation raciale.

images

La-liberte-en-marche

PH-SF-Civil-Rights-Movement-French-480i60_480x270

Mais, comme toute photographie, le positif a son négatif.

bmanc

kennedy-mort-1

malcom-x-est-assassine-a-harlemassassinat-malcom-x-

mort_luther_king

Le I have a dream de Martin Luther King se transforme en cauchemar. Malcolm X, Martin Luther King assassinés, les blacks semblent revenir au point de départ. La non violence a montré ses limites, le black power s’affirme et se renforce. Les présidents successifs ont usé et abusé des messages contradictoires, tendant la main pour la retirer aussitôt pour brandir le poing et déployer une répression ultra violente.

poing

Finalement, des décrets interdisant la discrimination raciale rentrent en vigueur, non sans mal. Qui aurait cru qu’un black serait élu en 2008 au plus haut poste des Etats-Unis ?

Lecon-d-humour-en-campagne-par-Barack-Obama

Malgré toute la symbolique de cette élection, les choses ne sont encore pas si simples, il suffit de voir les statistiques sociologiques et socio-professionnelles dans certaines villes des States pour s’en convaincre.

Si Woodstock m’était conté

5817821826_1bc78cb362_z

Parallèlement, une autre lutte pour les libertés fait rage, d’abord aux Etats-Unis puis dans toute l’Europe. La jeunesse se sent oppressée, les femmes demandent plus de droits, particulièrement celui de pouvoir maîtriser leur sexualité et leur reproduction et plus largement d’être respectées à l’égal des hommes, les drogues se consomment librement sur fond de musique psychédélique. Le flower power est en plein essor.

Ken Follet partage avec nous cette jeunesse considérée dépravée par certains, jeunesse en mal de liberté, qui a su par une incroyable créativité artistique, imposer son monde, un nouveau monde où l’amour prévaut sur la guerre, où le sexe se libère.

images (1)

woodstock1

Le droit à l’avortement, la contraception, la liberté de choix sexuel, sont autant d’acquis sur lesquels nous vivons actuellement. Mais ces acquis sont fragiles, et il n’est pas tout à fait certain que nous ayons su en faire bon usage. Que dire de l’image de la femme aujourd’hui ? que conclure de certaines images publicitaires ?

femme

femme2

femme3

Another brick in the wall

A la lecture de cette trilogie, de nombreuses questions se posent. Ken Follet décrit de manière très émouvante la chute du mur de Berlin, cette incroyable liberté que les berlinois de l’Est, et les populations des satellites de l’URSS ont pu savourer. Le bloc soviétique s’effondre sur fond de musique, de rires et de joie. Nous avons tous encore ces images incroyables de jeunes berlinois démontant le mur, brique par brique.

516981-mur

mur

Le sieur Gorbatchev sort grandi de cet épisode comme étant l’homme de la Perestroïka, Perestroïka qu’il a désirée certes mais qui s’est aussi imposée à lui tant l’URSS était en piteux état. Il n’est même pas certain que cette victoire soit celle d’un peuple opprimé, ne serait-elle pas simplement la victoire d’un capitalisme anthropophage et liberticide ?

gorbatchev

Nous sommes maintenant en 2015 et les constats ne sont pas très positifs. Ces élans de liberté du siècle dernier semblent évaporés dans l’ambiance délétère actuelle. Les injustices se succèdent, la violence identitaire transpire partout dans le monde, le fascisme pointe son nez, jusque chez nous. Le racisme se banalise, devient la norme. N’avons-nous vraiment retenu aucune leçon d’histoire ?

Il est légitime de se demander si en fin de compte nous ne sommes pas juste une autre brique dans ce mur de violence et d’intolérance.

wall

 

12 cigarettes (1)

Thursday 1 January 2015 à 18:17

12-cigarettes-1

Partie 1 : la naissance

Je fume 12 cigarettes par jour.
Pas une de plus, pas une de moins.
Chaque cigarette a un sens précis, une valeur, un goût, un temps, un espace qui lui est propre.
Chaque cigarette raconte sa propre histoire, exhale une saveur unique. C’est un plaisir qui ne se partage pas, qui ne concerne que le fumeur et sa tige de papier-tabac. Un univers se crée dès que la cigarette est allumée, un univers de fumée opaque qui protège le fumeur du monde glacial qui l’entoure. Une douce chaleur envahit son palet, des picotements diffus et excitants se répandent sur sa langue, pénètrent ses cloisons nasales, envahissent le corps du fumeur et lui apportent l’apaisement tant attendu. L’esprit se vide, se mélange aux sensations, vogue, puis une pensée se forme, précise, claire, efficace. La conscience du fumeur s’exacerbe au moment de l’inhalation, qui peut alors pénétrer plus profondément en lui-même, ressentir plus intensément sa propre présence, la présence des autres. Chaque instant partagé avec la cigarette a une valeur, un goût, un temps, un espace qui lui est propre. C’est pour cela qu’il est nécessaire de ne fumer qu’un nombre établi de cigarettes chaque jour. Sans cela, la distorsion guette, la confusion prend place, le fumeur est lui-même aspiré comme la fumée qu’il inspire.
Je n’arrive pas à comprendre que l’on puisse fumer n’importe comment, sans rigueur, aléatoirement, comme une mécanique emballée. Ça doit être très désagréable. Improbable. Chaotique. Je ne pourrais pas fumer ainsi.
Mes douze cigarettes me sont livrées chaque matin à huit heures. Elles n’ont pas de marque. Pas de filtre non plus. Juste le papier blanc et le tabac couleur de blé. Je prends toujours la première à gauche du boîtier en argent, entre le pouce et l’index. Je l’observe, la roule doucement entre mes doigts puis la pose à côté du boîtier. Mes yeux se portent sur le ciel plaqué derrière la fenêtre, je sens presque immanquablement qu’il va changer lorsque j’aurai avalé la première bouffée. Si chaque cigarette a un sens précis, celle du matin correspond à ma naissance. La nuit est une mort, le matin une naissance. Il y a douze allumettes dans le boîtier d’argent. Une pour chaque cigarette, bien entendu. Je n’ai jamais échoué dans l’allumage de chacune d’entre elles depuis que je fume. Et je fume depuis très longtemps. Il y a toujours le son de l’allumette qui s’enflamme, plein de nuances : les allumettes ne s’enflamment jamais exactement de la même manière, ne produisent jamais exactement le même bruit. Chaque cigarette a un sens.
J’allume ma première cigarette qui représente ma naissance. Le ciel s’obscurcit, le monde disparaît, je suis dans les ténèbres. La lumière jaillit : je nais

*  *

— « Comment je l’ai connu ? C’est une question gênante, je ne sais pas si je vais pouvoir vous répondre comme ça. C’est difficile à dire, et vous allez penser que je vous mens, ou bien que j’ai la mémoire fragile. Je ne peux pas le dire précisément. En fait j’ai l’impression de l’avoir toujours connu, comme si… il n’y avait pas de début précis. Oui, ça me revient, je sais pourquoi j’ai cette sensation : je rêvais de lui avant de le rencontrer, et vous savez, parfois, on confond les rêves et la réalité, on n’arrive pas à savoir ce qui est du rêve et ce qui est de la réalité. Donc, quand je l’ai vu, je ne savais pas si c’était dans un rêve ou bien dans la réalité. »
La pièce était éclairée par une rampe de leds blanches au plafond et n’avait aucune fenêtre. C’était un peu oppressant. La femme d’une quarantaine d’années avait arrêté de parler et attendait visiblement que le médecin en blouse blanche — assis de l’autre côté du sommaire bureau de métal qui les séparait — lui réponde. Il avait posé ses mains bien à plat devant lui, sur le bureau. Il reprit la parole alors qu’elle hésitait à lui demander si sa réponse lui convenait.
— « Mais vous ne pouvez me préciser quand vous l’avez rencontré, comment son identité vous est connue ? »
— « Non, je ne crois pas l’avoir rencontré, mais je le connais. C’est pour cela que je vous demande une visite, vous comprenez ? »
Le médecin la fixait, droit dans les yeux. Quel âge pouvait-il avoir ? 35 ? 40 ? 45 ? Pas de rides prononcées, pas de cheveux bancs, mais on sentait une assurance dans sa voix, et sa façon de se tenir… c’était un homme sans âge. C’est ce qu’elle conclut. Il lui répondit, en souriant un peu, du coin droit de la bouche.
— « Oui, je comprends. Nous vous avons reçue, et vous devez le savoir, parce que vous avez des éléments de compréhension à propos de ce patient… si particulier. Mais avant de savoir si vous pouvez le rencontrer, nous avons besoin de mieux comprendre vos motivations. C’est une nécessité, et je vous rappelle que nous ne vous avons jamais promis que vous le rencontreriez. Vous vous en souvenez ? »
Elle acquiesça.
— « Bien. Voyons en premier lieu ce que vous savez de son passé. Nous savons qu’il a un métier, le connaissez-vous ? »
— « Oui. Mais ce n’est pas ça qui importe, vous le savez bien, docteur. »
— « Pourquoi donc, d’après vous ? »
— « Parce que ce qui importe, c’est où nous sommes, et la date. »
Le médecin inspira un peu plus fort. Ses mains étaient toujours posées à plat, mais un léger tressaillement fit se soulever quelques uns de ses doigts.
— « Vous savez donc pour les cigarettes ? »
elle éclata de rire.
— « Bien sûr ! Et vous n’y pouvez rien, docteur, absolument rien ! »
Le médecin se recula sur sa chaise et se massa les yeux, puis les tempes. Il ne savait pas si ce qu’il était en train de faire, pouvait jouer positivement ou négativement. Il se demanda si ce n’était pas une erreur d’avoir accepté de recevoir cette femme. Il était 10h. La deuxième cigarette était allumée. Immanquablement.