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Humeur : toi aussi joue avec les valeurs de la République, et deviens un post-charlie

Friday 30 January 2015 à 16:54
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Au Maroc aussi, ça déconne sec sur l’ambiance française. (journal, Al Watan Al Ane : « Les Français vont-ils faire renaître les camps de concentration d’Hitler pour exterminer les musulmans ? »)

Soyons bien clairs : s’il est encore possible d’écrire ce que l’on veut sur Reflets, il n’est pas certain que la chose soit définitivement acquise. Il s’en est fallu de peu qu’un amendement de la Loi Macron ne vienne permettre la condamnation de tout journaliste dévoilant des secrets « d’affaires » dérangeants. En langage clair : nous avons failli être interdit de parler de ce que les entreprises aimeraient cacher à la connaissance du public. Il s’en est fallu de peu. Gardons à l’esprit, que, le plus souvent, ce sont les populations elles-mêmes qui demandent à ce que l’on réduise leurs libertés. Un récent sondage l’indique (51% pour la réduction des libertés en général, 36% contre), et l’histoire le démontre. C’est sur ce constat, que ce billet d’humeur (puisque c’en est un) s’est lancé, après avoir lu certains commentaires proférés sous un article intitulé « l’école autorise une seule liberté d’expression : celle de Najat« . Ces commentaires ne peuvent être simplement ignorés ou écartés d’un revers de main. Ces commentaires sont… comment dire… inquiétants. Fâcheux aussi. Parce qu’ils révèlent de nombreuses choses, et l’une d’entre elles est évidente : la société est hystérique, et le politique en profite pour instrumentaliser la plupart de ceux qui la constituent. Un peu de remise en perspective, même ironique, semble donc tout à fait indiquée. Que cela plaise ou non aux « grands défenseurs(ses) » de l’EN et de cette sacrée Najat, qui franchement, n’en rate pas une, tout en surfant, comme toujours — dans le sens du vent.

Reprenons depuis le début : Charlie, c’est pas l’école, et BFMTV non plus…

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Oh, chocking ! C’est très mal ce détournement d’image, vraiment, très mal… Il y a un risque à la publier ou c’est encore autorisé dans le pays de la liberté d’expression ?

Voilà où nous en sommes, chers concitoyens : un meurtre de masse, des chaînes de télévision qui se « déchaînent » en quasi 24/24 et au final, un grand « raout mondial » qui se conclue à Paris (et en province) pour déclarer « Je suis Charlie », et que vraiment « il faut la défendre la liberté d’expression » et pis aussi toutes les belles valeurs de la France. (ces valeurs, qui lui permettent, à la France, de continuer à faire plein de saloperies à travers la planète via ses entreprises championnes : Dassault, EADS et Lagardère, Amesys, Qosmos, complétez la liste. Tous des amis de la liberté d’expression par les armes. Sans compter les autres, autour de l’uranium, pétrole, mais ce serait trop long).

Une minute de silence est donc imposée à l’école, suite à l’événement. Une minute de silence ? Mais pourquoi ? Avec des élèves de 6, 7, 8 ou 9 ans ? Qui ont compris quoi de cette violence inouïe, et au travail de Charlie Hebdo ? Cette minute de silence est déclarée « sacrée » et ne doit pas être perturbée. Commémoration. Célébration. Avec des gosses ! Très vite survient le bâton : ceux qui perturbent la minute de silence peuvent avoir des problèmes, ceux qui mettent en cause l’événement sont mis à l’index. Pas une tête ne doit dépasser… Alors qu’aucun adulte n’a eu encore le temps de prendre le recul nécessaire pour comprendre toutes les intrications sociales, culturelles, économiques, politiques, de cette affaire…

Reprenons un  peu les choses : je suis dans un pays libre (it’s a free country), paraît-il… Comment un Etat, peut-il décider que mes gamins doivent comprendre un crime, effectuer une minute de silence, ne pas pouvoir discuter de celui-ci, et me laisser entendre dans le même temps que je suis libre ? Un enfant a été convoqué par la police, parce qu’il avait parlé à l’école. Simplement parlé. Des mots. De simples mots. A l’école. « Je suis avec les terroristes« , aurait-il dit. Et même plus, pourquoi pas ? Il a le droit de le faire, même si c’est une affirmation choquante. Parce que dans un pays libre, on ne convoque pas des enfants au commissariat pour les mots de ce même enfant de 8 ans. Quels qu’ils soient. Charlie n’est pas l’école. Et l’école est là pour protéger les enfants de la violence, pas pour la faire commémorer. L’école est là pour écouter, discuter, former, pas pour envoyer les enfants chez les flics. D’ailleurs, on ne lit pas Charlie Hebdo à l’école. Normal, Charlie, c’est crado et plus que limite la plupart du temps — depuis que Philippe Val est passé par là quelques années. Tendance raciste : pour preuve, les sites les plus fachos reprennent souvent des caricatures de Charlie. Celles qui tapent le plus sur l’arabe-musulman. Même si des gens très bien, écrivaient, dessinaient, des choses très bien elles aussi dans cet hebdomadaire. Au milieu du reste.

Des gens pensent que Charlie Hebdo, « ils l’ont bien cherché »

Oui. C’est un fait. Des gens pensent ça. D’autres pensent que c’est un complot. Ca s’appelle la liberté de penser. L’information circule à la vitesse qu’offrent les tuyaux des internets : très rapidement. La population n’est pas homogène. Tout le monde n’a pas les mêmes possibilités de compréhension, la même histoire personnelle, familiale, la même grille de lecture, le même pognon, le même environnement. En pays de France, ça s’appelle « les inégalités ». C’est drôle, parce que ça crée d’un côté, des donneurs de leçons qui voudraient que tout le monde suive leurs règles et leur façon de penser, et de l’autre, des gens qui, par exemple, haïssent profondément la société injuste dans laquelle ils sont obligés de vivre. Et prennent le contre-pied de celle-ci, autant qu’il est possible de le faire.

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Illustration : Nemo

 

Les enfants protégés des conditions de vie déplorables que cette société peut générer, n’ont pas de problèmes pour « accepter » le meurtre de Charlie et des clients de l’Hyper Casher : leurs parents vont les protéger, leur expliquer le minimum qu’ils doivent comprendre sur le sujet, et ils vont bien gentiment les faire se plier au jeu d’une minute de silence. Les autres vont entendre des choses différentes chez eux, parce que c’est dur, chez eux. Très dur. Et on n’aime pas les donneurs de leçons, qu’ils soient en tailleur Chanel, ou en jean moulant, (ou autre tenue vestimentaire plutôt chic que les donneurs de leçons ont tendance à porter) chez ces enfants là. On peut penser que Charlie Hebdo sont des racistes, dans une partie de la population. Se demander pourquoi la police nationale tutoie les parents de certains, et pas d’autres. Bref, la parole anti-Charlie n’est certainement pas une parole pro-djihadiste ou d’apologie du terrorisme, elle est plutôt une parole d’exclus, de minorités — qui — si elles sont d’habitude silencieuses — expriment là leur détestation de ce pays qui les méprise et les maltraite depuis fort longtemps.

Les valeurs, tu sais où tu peux te les mettre ?

Valls-Charlie

La liberté de Manuel, c’est de lire Charlie Hebdo. Mas si tu n’aimes pas Charlie, et prends la liberté de le faire savoir, fais gaffe : tu risques de te retrouver devant un juge pour apologie du terrorisme.

Alors, quand la Ministre de l’Education nationale vient expliquer qu’il faut faire respecter les valeurs de la République, par l’autorité si nécessaire, chacun est en droit de se questionner. Imposer des valeurs ? Par la force ? Comment fait-on pour faire rentrer dans le crâne des enfants les « valeurs de la République » qui ne sont pas respectées la plupart du temps, par ceux-là mêmes qui les brandissent ? Ne faudrait-il pas commencer par montrer l’exemple ? Najat est-elle bien placée pour cela ? Et les les profs, « tous Charlie », et point barre ? La réponse actuelle  donnée à un prof de philosophie de Poitiers qui a eu le malheur de créer un débat avec ses élèves, est plus qu’inquiétante : le prof est suspendu, une enquête pour apologie du terrorisme est ouverte. (lire article du Libé du 30 janvier 2015)

Oublierait-on Cahuzac, Thévenoud, les frasques sexuelles présidentielles (et leur résolution exemplaire en termes de valeurs…), le conseiller d’Hollande aux 100 paires de godasses de luxe cirées par des domestiques payés aux frais du contribuable ?

Un gouvernement dont la politique se résume à chercher à faire des économies sur le dos des acquis sociaux de la population — alors qu’il s’est fait élire sur l’inverse — peut-il vraiment venir faire la leçon sur les « valeurs de la République » dans ces conditions ? Les banlieues pourries, peu, ou parfois pas desservies par les transports en commun, abandonnées à leur sort depuis des décennies devraient donc applaudir le traitement médiatique du problème par Najat Vallaud-Belkacem — causé par des élèves résistant à la propagande nationaliste actuelle ? Très franchement…

Une société totalitaire ne se déclare jamais totalitaire. Une société policière, avec un pouvoir inquisiteur, ne s’en vante jamais. Un pouvoir politique aux abois, sans projet, à la solde de lobbies divers et variés ne l’avoue jamais. En revanche, s’il est vraiment corrompu, ce pouvoir politique s’emparera du moindre événement inquiétant et violent pour accroître sa capacité à dominer par la force. En brandissant des valeurs, bien entendu, et selon lui, pour le bien du plus plus grand nombre. Il faut lire ce petit article de La dépêche, qui développe le « grand chambardement » de la police municipale de Toulouse : des brigades AMI sont mises en place. AMI ? Action Marginalité Insertion…C’est très tendance ça. Et ne pose aucun problème, bien entendu…

Pour finir, à l’attention de ceux qui défendent la thèse selon laquelle il est normal que l’enfant de 8 ans, à Nice, soit convoqué chez les flics pour apologie du terrorisme, et en hommage à Wolinski, pour qui j’ai toujours eu un grand attachement, sachez une chose : je vous pisse à la raie…

(…) Le post-Charlie est un individu qui est nation et patrie, loi morale soudant en lui individus et générations dans une tradition, dans une mission qui suspend la tendance de la vie à s’enfermer dans le cercle étroit du plaisir, pour instaurer dans le devoir une forme supérieure d’existence affranchie des limites de l’espace et du temps; existence où l’individu par l’abnégation, le sacrifice des intérêts particuliers, par la mort même, réalise cette forme d’existence toute spiritualisée où réside sa pleine valeur d’homme. Conception spiritualiste donc …antipositiviste mais positive !

Le post-charlisme veut l’homme actif, engagé dans l’action de toutes ses énergies. Il conçoit l’existence comme une lutte, convaincu qu’il appartient à l’homme de se conquérir une vie véritablement digne de lui en créant lui-même d’abord les instruments, nécessaires à cette édification. D’où la valeur suprême de la culture sous toutes ses formes et l’importance primordiale de l’éducation.

D’où également la valeur du travail par lequel l’homme triomphe de la nature et crée un monde humanisé. La vie telle que la conçoit le post-charlisme est sérieuse, austère, religieuse…. Le post-charlisme est une conception historique selon laquelle l’homme n’est ce qu’il est que dans le cadre du groupe familial et social, dans celui de la nation et de l’histoire que contribuent à forger tous les peuples. Hors de l’histoire, l’Homme n’est rien. Anti-individualiste, le post-charlisme est pour l’Etat et il est pour l’individu dans la mesure où celui-ci coïncide avec l’Etat… Le post-charlisme réaffirme l’Etat comme la vraie réalité de l’individu… Le post-charlisme est pour l’unique liberté sérieusement définie : la  liberté de l’Etat et de l’individu dans l’Etat. Car pour le post-charlisme, tout est dans l’Etat, et rien d’humain, de spirituel n’existe en dehors de l’Etat. C’est pourquoi le post-charlisme s’oppose au djihadisme qui durcit le mouvement historique de la lutte des classes et ignore l’unité de l’Etat. C’est pourquoi le post-charlisme s’oppose à la démocratie qui rabaisse le peuple au niveau du plus grand nombre; mais il est la forme la plus pure de la démocratie puisque le peuple est conçu qualitativement et non quantitativement ».

Cet extrait d’article est l’œuvre de Benito Mussolini, en 1934. L’auteur de ce billet d’humeur a simplement remplacé le terme fascisme ou fasciste par post-charlisme et post-charlie et socialisme par djihadisme. Texte original : http://www.hansen-love.com/article-le-fascisme-selon-mussolini-40222370.html

L’école autorise une seule liberté d’expression : celle de Najat

Wednesday 28 January 2015 à 20:32
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Bad Charlie, par Nemo

 

« Il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves » : c’est ainsi que la Ministre de l’Education nationale résume la problématique des réactions négatives d’une partie des élèves à l’injonction gouvernementale de la minute de silence en mémoire des morts du 7,8 et 9 janvier 2015. Le principe retenu par Najat Vallaud-Belkacem est assez simple : les mômes doivent communier… et la fermer. Ils doivent « être Charlie », bénir la liberté d’expression, mais sans autre vocation que celle de la Ministre. Une forme de liberté d’expression univoque. Tu es libre de dire « Je suis Charlie », mon petit, mais il n’y a pas de MAIS ! Et c’est tout.

Extrait : « Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les « Oui je soutiens Charlie, mais », les « deux poids, deux mesures », les « pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?«  Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs »


Najat Vallaud-Belkacem : « L’école est en… par LCP

Et oui, l’école n’est plus là pour permettre le questionnement, d’après la Ministre. L’école est désormais une « entreprise » pour formater les esprits, pas les former transmettre des valeurs. Celles de Najat ? L’idée même de discuter des « oui, mais » n’est pas venue à l’esprit de Najat. Non. Les questions lui sont « insupportables« . Pauvre Najat, traumatisée par les questions de la jeunesse. Les élèves vont donc pouvoir aller se régaler des théories du complot qui fleurissent à propos de cet évènement. Pour se dire, qu’effectivement, la liberté d’expression n’est pas la même pour tous : pour preuve, la leur n’est pas autorisée, même dans le questionnement !

Aujourd’hui, Ahmed, 8 ans, s’est vu convoqué à Nice par la police, après que le directeur et son instituteur ont porté plainte contre lui, selon Rue89 (lien vers l’article au dessus). Ahmed, en CE2, a dit qu’il « était avec les terroristes« . Sommé d’expliquer ce qu’était un terroriste, cet apologiste en herbe n’a pas réussi à donner un début de définition. C’est une circonstance aggravante chef ?

Bienvenus, jeunes gens, dans le « brave new world » du Parti socialiste gouvernemental 2.0

L’illustration originale de ce billet est l’œuvre de  Nemo, un dessinateur de talent qui vient de rejoindre l’équipe de Reflets. Longue vie à lui chez nous (et ailleurs aussi) !

Géopolitique des câbles et migrations fantômes des armes numériques

Wednesday 28 January 2015 à 15:47

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Qu’on se le dise, les produits Qosmos n’ont jamais été opérationnels en Syrie ! Thibaut Bechetoille, le patron de la société française le répète à l’envie. Devant la presse, devant les enquêteurs ou les juges qui planchent sur une éventuelle complicité de torture et de crimes contre l’Humanité. Oui, Qosmos a bien participé à un projet d’installation d’un système de surveillance globale en Syrie via le projet ASFADOR, mais non, ses sondes DPI n’ont jamais été opérationnelles. Une défense un tantinet désespérée qui semble un peu contredite par certains documents et aspects techniques. En outre, l’aventure syrienne de Qosmos et d’AREA (le consortium qui vendait le système global) pose à nouveau la question de la géopolitique des câbles et de la migration fantôme des armes numériques, contre lesquelles rien n’a été fait. Dans le cas de Qosmos, un document que nous avons pu authentifier laisse entendre que les développements du projet ASFADOR ont pu finalement atterrir en Iran ou être achevés par une société iranienne. Comme des outils BlueCoat avaient fini leur course en Iran ou en Syrie en dépit d’un embargo américain.

Thibaut Bechetoille, PDG de Qosmos © extrait d'une vidéo de Tivipro.tv

Thibaut Bechetoille, PDG de Qosmos © extrait d’une vidéo de Tivipro.tv

Comme nous l’avions déjà relevé dans une enquête commune avec Mediapart (premier article, deuxième article, troisième article), les exactions du pouvoir Syrien avaient déjà commencé depuis près de huit mois quand Qosmos décide, selon elle, de se retirer du projet ASFADOR visant à livrer à Bachar el-Assad une solution de surveillance globale. Un retrait tardif qui ne prend en compte ni la répression pendant des mois, ni celle qui a précédé, les régimes de Bachar el-Assad ou de son père précédemment, n’étant pas connus pour leur aspect démocratique et respectueux de l’opposition. La société Qosmos, comme Amesys, est visée par une information judiciaire pour complicité d’actes de torture en Syrie ouverte auprès du pôle crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre du TGI de Paris. Ce qui, soit dit en passant ne l’empêche pas de recevoir des prix pour son « leadership » sur son marché, avec la bénédiction -toujours- de BPIFinance.

Pourtant, l’éthique lors de la vente de tels produits à des dictateurs ou des Etats policiers, comme pour Bull/Amesys avec la Libye, est visiblement hors champ de réflexion des sociétés produisant de tels outils. Jusqu’au moment ou, bien entendu, la situation devient intenable.

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Les sondes livrées par Qosmos n’ont jamais été opérationnelles, indiquent tous les dirigeants de Qosmos lorsque la presse les interroge ou que les enquêteurs ou les juges leur posent des questions. Qui plus est, de manière unilatérale, Qosmos a décidé (mais il n’y a pas de trace écrite de cela) de ne plus fournir quoi que ce soit pour le dossier syrien dès le 17 octobre 2011.

Voilà qui devrait rassurer les méchants « droit-de-l’hommistes » qui critiquement ces marchés avec des dictateurs ou des Etats policiers et tentent d’empêcher des entreprises innovantes de faire du business en rond tout en contribuant à la fois à réduire le déficit commercial français et à faire plaisir aux services de renseignement.

Certains objecteront peut-être tout de même que six mois plus tôt, en avril 2011, la FIDH s’inquiétait de la répression croissante et des massacres perpétrés par le pouvoir syrien.

Les outils de surveillance massive disparaissent ou émigrent ?

Reflets avait, avec Telecomix, démontré que des appliances BlueCoat s’étaient retrouvées en Syrie où elles participaient à l’infrastructure de censure du Web, en dépit de l’embargo américain pour la vente de tels produits à ce pays. Cela avait déclenché une enquête du gouvernement américain qui s’était achevée avec une amende pour un revendeur BlueCoat. D’autres matériels de ce type s’étaient retrouvés en Iran. Selon certains spécialistes, on trouverait même en Iran des outils d’interception américains très performants. C’est dire si ces solutions savent migrer telles des fantômes, passant allègrement les frontières en dépit d’embargos, de lois, d’arrangements de Wassenaar, etc.

Personne ne sait ce qu’il est advenu des Eagles d’Amesys déployés en Libye. Personne ne sait non plus ce que sont devenus les développements, les solutions, opérationnelles ou pas, déployées en Syrie par Area. Ce sujet n’est abordé ni par les entreprises prises la main dans le pot de confiture, ni par la presse qui a de toutes façons du mal à accéder à ces destinations.

Depuis l’enquête conjointe de Mediapart et de Reflets, nous sommes en possession d’un document, une fuite, semblant émaner du ministère de la défense syrien.

leaked-Feb13th-central-monitoring-system-STE-Iran

En voici une traduction libre en Anglais :

Syrian Arab Republic
Communications Department
Legal Office
Number CD/M/1421
Date 2012/2/13
Highly Confidential

Mr. Minister of telecommunications and technology
After the apology of Italian company AREA on fulfilling what was left from the contract No.8 of year 2010 that was contracted to import and install a central monitoring system and after it endured the consequences of not completing the project, and in reference to the management order No. 1/1/13/395 dated 2012/2/4 from the Syrian Telecom Establishment (STE) about retrieving all remaining works related to the mentioned contract.
Please inform STE to transfer all non committed funds from the total value of the funds allocated to the mentioned project, from the STE account in the Syrian commercial bank to the account of the communications department in Syrian commercial bank plus all insurance amounts related to the contract, as a contract with the Iranian side (The direct agreement [comprendre « le consultant » NDLR]) has been made to continue all remaining works of the contract in compliance with the higher orders on the subject which cited faster delivery.

With thanks to your cooperation

Signed
Major General
Head of Communications Department
Sealed
Ministry of defense
Communications Department CD

Jusqu’à présent, nous n’avions pas pu authentifier ce document. D’autant qu’il semblait rédigé sur une page blanche, sans en-tête. Le point qui permettait toutefois de penser qu’il était authentique, est qu’il est rédigé dans un « jargon » administratif qui correspond à ce type de courrier.

Un élément nouveau est apparu qui nous permet de l’authentifier à 99,99%. Il s’agit du numéro évoqué pour le contrat avec AREA. Ce numéro est le même que celui évoqué dans le courrier envoyé par AREA, cette fois-ci, à STE pour mettre fin au contrat. Or il ne doit pas y avoir beaucoup de monde connaissant ce fameux numéro.

L’Iran caché derrière le contrat ASFADOR ?

Une lecture rapide du document laisse entendre que l’Iran serait en fait le client caché derrière le client syrien. Un moyen de contourner un embargo évident. En outre, le 6 décembre dernier, l’Iran a annoncé être en mesure d’identifier tout internaute se connectant à Internet. Exactement ce que savait faire la sonde Radius de Qosmos, opérationnelle, elle (selon les mots d’un employé de Qosmos), en juin 2011. Troublant. Mais les choses sont sans doute plus compliquées.

D’une part le document parle du « consultant » iranien. S’il s’agit probablement dans le contexte d’une entreprise de conseil, il ne s’agit pas forcément de l’Iran en tant que pays. Plutôt une société représentant les intérêts d’un service ou d’un courant iranien.

D’autre part, la géopolitique des câbles va dans le sens d’un contrat passé pour contrebalancer une perte de « visibilité » sur la région de la part des services de renseignement italiens, mais aussi de leurs homologues français et allemands.

Quelques mois avant la signature du contrat ASFADOR, les services italiens ont perdu un point d’écoute important : Telecom Italia s’est retirée  d’Ìran pour qui elle assurait une forte connectivité. Elle a opéré ce retrait en augmentant les tarifs. Les Iraniens se sont rabatus sur la Russie. A l’époque, la Syrie assurait la majorité du trafic vers le Liban.

Si l’on observe le consortium d’entreprises réunies au sein du projet ASFADOR, on constate assez rapidement qu’il s’agit d’un consortium d’entreprises très proches des services respectifs des pays desquels elles sont originaires : Area en Italie, Qosmos en France, Utimaco en Allemagne…

En septembre 2011, Qosmos avait bénéficié d’un investissement de 10 millions d’euros de la part du Fonds stratégique d’investissement (FSI) qui l’avait aidée à lever des fonds (20 millions d’euros). Qosmos et le FSI saluaient cette arrivée de fonds en ces termes : « La levée de fonds permettra particulièrement de financer l’expansion de  Qosmos à l’international, et de soutenir le développement de nouveaux  produits, les actions marketing à l’international et d’éventuelles  acquisitions« .

Les sondes migratrices

Qosmos a admis avoir livré des sondes à la Syrie. Mais affirme sans rire que :

  1. elles n’ont jamais été fonctionnelles, la preuve, la recette n’a jamais été faite.
  2. elles n’ont jamais pu être fonctionnelles après le retrait car il n’y avait plus de mises à jour. Et selon Qosmos, « les protocoles » surveillés « évoluent constamment ». Du coup, sans mises à jour, on n’écouterait plus rien.

Le nombre de machines (IBM) équipées de sondes Qosmos installées et Syrie et qui sont donc depuis le retrait de Qosmos d’ASFADOR officiellement « Missing In  Action« , varie selon les témoignages.

Entre deux et dix.

Lorsque le contrat a été rompu, les fonds sur place en Syrie ont été gelés. Le client a également pu récupérer ce qui reste du projet, donc probablement les configurations, les POCs, la documentation, les sondes livrées. Qu’est devenu tout ce matériel ? Voilà une question qui ne semble pas intéresser grand monde. Pour Qomos, l’argument massue étant que sans mises à jour des « protocoles » surveillés, il n’y a plus rien à en faire.

Un argument qui ne convainc pas tout le monde. D’une part, le Protobook, ou une partie du Protobook (qui regroupe le détail des protocoles écoutés et comment ils le sont) a peut être été livré et conservé sur place. Il n’est pas impossible de le faire évoluer, avec les bonnes personnes sous la main. D’autre part, certains « protocoles » sont plus figés que d’autres. Le temps n’altère pas la capacité à les écouter. Enfin, la Syrie, ou l’Iran, ont les moyens techniques, en tant qu’Etats, d’aligner des développeurs qui poursuivront le travail. La migration fantôme des armes développées par des Etats dits démocratiques, avec un soutien actif des autorités et souvent des services de renseignement, est donc un point crucial. Encore une fois, aucune frontière, aucun embargo, aucune loi, aucun arrangement de Wassenaar ne les arrêtera.

Radio Reflets #5 : le terrorisme…

Tuesday 27 January 2015 à 02:09

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#RadioReflets5 - mardi 27 janvier 2015.

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Le thème :

Pour sa cinquième émission de radio, Reflets va tenter d’analyser le phénomène du terrorisme. Nous avions annoncé ce thème au cours de Radio Reflets #4, avant les événements de janvier à la rédaction de Charlie Hebdo, de Montrouge et du supermarché casher. Un peu de temps s’est écoulé après cette tragédie. Nous essayerons d’explorer cette thématique avec le plus de recul possible.

L’invité : Laurent Bonelli : maître de conférences en science politique à l’université Paris X Nanterre et rattaché à l’institut des sciences sociales du politique (ISP). Il est spécialisé dans les questions de sécurité urbaine, de surveillance et de lutte contre le terrorisme. Il est corédacteur en chef de la revue Cultures & Conflits et membre de l’équipe éditoriale de la revue International Political Sociology (Blackwell). Il participe également au réseau scientifique TERRA (Travaux, Études, Recherches sur les Réfugiés et l’Asile) et à la revue en ligne Asylon(s). Il intervient régulièrement comme expert dans les travaux sur la cohésion sociale du Conseil de l’Europe. Il participe également à la revue Cultures et Conflits. Animateurs : Drapher, Kitetoa Technique et programmation musicale : Epimae. Le flux audio est assuré par Tryphon Hashtag : #RadioReflets5 La date : le mardi 27 janvier 2015, de 17h30 à 18h30.

12 cigarettes (5)

Monday 26 January 2015 à 13:14

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Partie 5 : hésitation

— « Il a créé l’univers ? Vous pouvez m’expliquer cette affirmation ? »

Elle vrilla ses yeux dans les siens. C’était le moment. Tout se jouait maintenant. Elle inspira lentement puis se jeta à l’eau :

— « Il a re-créé l’univers si vous voulez… avec le C-Quantum. Enfin, au départ c’était une reproduction. Parfaite. A l’identique. Un programme quantique qui débutait à l’origine sans aucune donnée quantique, sans rien. Puis le code se lançait, et ce que l’on nomme la lumière, la matière jaillissait dans les tréfonds de la machine. Il était possible de visionner cet univers, identique au nôtre. Et dans la machine, en quelques secondes, des équivalents de millions d’années se déroulaient, qui pouvaient être freinés, si on le désirait, ou se dérouler en accéléré. C’était tellement inconcevable, incroyable que tout le monde eut peur. Sauf lui. Ils lui ont dit d’arrêter la machine, de détruire le code. Il ne voulait pas… »

Le médecin pencha la tête :

— « L’univers dans une machine… je ne comprends pas bien ce que cela signifie, ni ce qu’il y a de si effrayant. C’était en fin de compte un monde virtuel, une reproduction de notre monde, mais en informatique. Ca n’a rien d’extraordinaire, bien que ce soit original et surement révolutionnaire, parce qu’effectué avec ce fameux calculateur quantique, mais…. »

La femme eut une moue amusée.

— « Vous ne saisissez pas bien ce que les scientifiques ont compris avec cette démonstration. Ce n’était pas un jeu qu’il avait codé. Il avait démontré… — Elle fit une pause — Il avait démontré… que nous étions dans un programme informatique. Que l’univers n’était rien d’autre qu’un code quantique. Et ce code, il l’avait recréé. »

Le médecin fronça les sourcils. Il pensa aux 12 cigarettes. Au boitier d’argent. Au fumeur de la salle 42. A cette femme. A son rôle à lui. Sa fonction. Ses responsabilités. A ce lieu. S’il appuyait, la sécurité serait là en moins de deux minutes et la femme serait arrêtée, désactivée. Il hésita. Il avait envie d’en savoir plus. Il lui répondit le plus tranquillement possible.

— « Il aurait donc démontré que nous sommes le produit d’un programme d’informatique quantique ? En recréant le programme, si je vous suis bien, qui serait la structure de notre univers ? Et cette découverte l’a mené ici ? Pourquoi, d’après vous est-il ici ? »

— « Parce qu’il a refusé de s’arrêter. Parce qu’il est allé plus loin. Sans que personne ne le sache. Et parce qu’il est impérieux que je puisse justement avoir accès à lui. Pour qu’il change le code. »

Le médecin tapota rapidement : « paranoïa, délires obsessionnels, psychose ? »

— « Je vois. Vous voulez qu’il change le code ? Quel code ? »

— « Vous vous en doutez, docteur, non ? »

Le médecin déglutit. Un tremblement incontrôlé s’était emparé de sa jambe. Il n’avait pas le choix. Il allait devoir passer en niveau 2. C’était certainement un événement aléatoire imprévisible. On l’avait prévenu de cette possibilité : ce genre de choses étaient possibles. Et lui, ne s’était pas méfié depuis le début. Il s’en voulut. Immanquablement.

(Vous pourrez retrouver la suite et l’intégralité de cette nouvelle ainsi que d’autres, prochainement, au format ebook et à la vente sur Reflets)