Quand une mer était envisagée au Sahara

Retour en cartes et en données sur un projet un peu fou de la fin du XIXe siècle : la création d'une mer intérieure au nord du Sahara.

Comment créer cette mer saharienne ?

L'optimisme de Roudaire venait avant tout d'une connaissance précise des chotts algériens, ces grands lacs qui s'évaporaient régulièrement.

On repère sur la carte suivante les cinq grands chotts impliqués dans le projet, avec de l'Ouest vers l'Est :

  • les chotts Felrhir et Melrhir côté algérien
  • les chotts el-Gharsa, el-Jérid et el Fejaj côté tunisien

François Élie Roudaire était convaincu que ces lacs étaient des héritages d'une même étendue marine pour deux raisons :

  • la composition de leur eau, très riche en sel
  • l'altitude de ces chotts, inférieure au niveau de la mer

La suite paraissait limpide : inonder une vaste zone submersible grâce à un canal, d'environ 250 km, creusé depuis le golfe méditerranéen de Gabès.

La mer intérieure ainsi créée aurait été si vaste qu'elle aurait durablement modifié le climat, transformant la région en véritable grenier à blé.

Roudaire, en bon militaire qu'il était, avait également flatté l'esprit de l'époque en soulignant l'effet "pacificateur" qu'aurait eu le canal sur les éventuels rebelles tunisiens.

Pourquoi cette mer intéressait de Lesseps ?

Ferdinand de Lesseps connut, à partir de 1869, la consécration internationale grâce au canal de Suez construit sous ses ordres. Il ne s'arrêta pas là, et se mit en tête de relier ensuite deux océans en initiant la construction du canal de Panama, qui tourna en monumental fiasco.

Autant dire que modifier durablement le paysage d'une zone l'enthousiasmait franchement. Il espérait que la mer intérieure imaginée par François Élie Roudaire lui fournirait un nouveau trophée à son tableau de chasse.

La comparaison la plus impressionnante était sans nul doute celle faite avec le plus grand lac d'Europe de l'Ouest. La mer saharienne, avec plus de 7 000 km², aurait couvert 12 fois les 581 km² du Lac Léman.

Voici les proportions si chacune de ces étendues d'eau avait été un cercle :

Roudaire ne s'interdisait pas d'inonder dans le futur les chotts el-Jérid et el Fejaj pour allonger considérablement la nouvelle étendue maritime. Malheureusement pour lui, les complications ne tardèrent pas.

Pourquoi le projet a-t-il capoté ?

La mer intérieure, telle qu'elle était vendue par Roudaire, ne nécessitait que la construction d'un canal reliant la Méditerranée aux chotts occidentaux. Pour que cela se fasse sans souci majeur, il fallait absolument traverser des zones inférieures au niveau de la mer.

Le géographe français connaissait par cœur les chotts algériens, en revanche les relevés de la partie tunisienne à l'Ouest douchèrent quelques années plus tard son optimisme :

L'altitude discontinue entre les lacs algériens et tunisiens impliquait plus de temps, plus de travaux, donc plus de frais que ceux initialement prévus.

Le gouvernement français a donc préféré ne pas s'engager dans cette voie, avant que le décès de Roudaire et la chute de de Lesseps ne mettent un terme à ce projet de mer saharienne.

Sources

Le long article de Strange Maps à ce sujet
La page Wikipedia de Roudaire
Les photos d'une des missions en 1878