JLP VS MLP, round 2 : la sécurité

La sécurité a toujours été une priorité dans le discours du FN. La fille Le Pen semble avoir assimilé encore mieux que son père une très dangereuse stratégie de la peur.

La sécurité, en voilà un sacré morceau pour ce deuxième volet de l'Anti Front ! Et autant dire que, comme pour l'immigration, il y a du grain à moudre entre le père et la fille Le Pen.

Insuffler de la peur dans le discours

Ceux qui ont déjà lu le premier billet sur l'immigration savent à peu près comment chaque round entre Jean-Marie Le Pen (JLP) et Marine Le Pen (MLP) se déroule. Pour rappel, nous avons observé dans la réthorique des programmes du FN 2007 et 2012 :

  • une tentation de pointer du doigt l'immigré coûte que coûte
  • des analyses biaisées mais qui fleurent le "vrai", notamment grâce à des chercheurs convertis à la cause
  • des chiffres cités souvent faux, ou inteprétés de manière arrangeante

Et au niveau du volet sécurité de chaque programme, ça donne quoi ? Observons un peu la carte sémantique de JLP :

 

Le mot important est clairement celui de "moyens", suivi par "police", "prison" et "justice". Les propositions de JLP pour 2007 sont particulièrement orientées vers la justice. Est-ce la raison pour laquelle sa fille a préféré séparer en 2012 le volet "sécurité" du volet "justice" ? Commençons la comparaison avec ses propositions sécuritaires:

Enfin la voilà, la vile sournoise, la peur messieurs dames, avec sa place de choix ! Vous la voyez, l'"insécurité", saupoudrée de "violences", d'"échec" et d'"immigration" ? Mais ce n'est pas la seule différence de forme entre JLP et MLP. La fille Le Pen fait aussi dans la douce empathie.

Exemple, lorsqu'elle parle d'insécurité :

Elle [l'insécurité] crée des drames dans les vies et les familles. Une agression, même nommée « incivilité » selon une dérive sémantique très révélatrice d’un état d’esprit laxiste au plus haut niveau de l’Etat, est toujours traumatisante.

Qui pourrait affirmer le contraire ? Qui serait assez idiot, cruel, pourquoi pas un peu des deux, pour contredire ce constat de Mme Le Pen ? Certainement pas grand-monde. Est-ce pour ça qu'elle enchaîne directement après en affirmant que :

Elle [l'insécurité] a un coût immense pour la collectivité nationale, évaluée à 115 milliards d’euros par an selon l’étude réalisée par le professeur et économiste Jacques Bichot, soit plus de 5% du PIB de la France.

Ca avait pourtant si bien commencé, mais la muse du FN retombe dans les travers éternels de son parti... Penchons-nous d'abord sur les mots, dont le sens apportent toujours le meilleur éclairage. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales donne comme définition du mot "insécurité" :

Manque de sécurité; inquiétude provoquée par l'éventualité d'un danger.

Ce terme s'accorde plus à un sentiment qu'à une réalité concrète comme les chiffres de la délinquance. Et il est très hasardeux de donner un coût "matériel" à un sentiment...

C'est pourtant ce qu'a essayé de faire l'économiste Jacques Bichot, en calculant les coûts directs et les coûts indirets de la délinquance/insécurité. Pour lui :

  • les coûts directs correspondent aux dommages constatés. Par exemple, si vous volez 200 euros, le préjudice est chiffré à 200 euros. Simple, indiscutable.
  • les coûts indirects correspondent aux conséquences du "traumatisme". Par exemple, on vous a volé 200 euros. Très vite, vous tombez en dépression. De fait, vous transformez votre corps en pharmacie anglaise, creusant un peu plus le trou de la Sécu. Encore pire, toute votre famille se met à boire plutôt que de subir votre malaise, ce qui provoque des décès prématurés qui vont plomber l'économie. J'exagère peut-être un poil pour vous montrer le flou qui entoure ce types de méthodes, et qui permet de mettre sérieusement en doute les 115 milliards d'euros brandis par MLP.

La négligence de la délinquance dite "en col blanc" (faux, délinquance financière et informatique), estimé à seulement 20 milliards d'euros, est un autre aveu partisan. Bichot ne précise pas explicitement s'il a estimé les coûts de l'évasion fiscale, qui a été récemment évaluée dans une fourchette de 30 à 50 milliards d'euros.

Plutôt que de spéculer sur les "coûts indirects", Bichot aurait sans doute été plus inspiré de chiffrer cette forme de délinquance particulièrement coûteuse.

Mais l'intoxication continue plus fort dans le discours de MLP :

Les zones de non-droit, où les forces de l’ordre ne vont plus ou hésitent à pénétrer, se multiplient : il y a officiellement en France 752 « Zones urbaines sensibles ». L’expression désormais consacrée de zones de non droit constitue l’aveu d’un échec de l’Etat dans l’application républicaine et élémentaire du droit. Un Etat où le droit ne s’applique pas est un Etat sans chef d’Etat.

Les 752 Zones Urbaines Sensibles (ZUS) citées par MLP ne sont pas tout à fait définies de la même façon par l'INSEE :

Les zones urbaines sensibles (ZUS) sont des territoires infra-urbains définis par les pouvoirs publics pour être la cible prioritaire de la politique de la ville, en fonction des considérations locales liées aux difficultés que connaissent les habitants de ces territoires.

L'insécurité peut être une des difficultés vécues par les habitants de ces ZUS, mais pas forcément la seule. Le chômage, l'exclusion sociale, la précarité sont autant d'autres pistes.

Un exemple pour illustrer l'éventail inégal des ces zones ?

La ville Mulhouse, que nous connaissons très bien chez m0le pour y être tous nés. Mulhouse compte pas moins de six ZUS, chacune se référant effectivement à des quartiers qui, de réputation, "craignent" à partir d'une certaine heure. Un peu plus bas dans la liste, on trouve les quartiers nord de Marseille, théâtre de règlements de compte particulièrement sanglants ces derniers mois.

Même s'ils sont sur la même liste, doit-on juger les quartiers de Mulhouse aussi dangereux que le nord de Marseille ? Non, c'est une évidence. Mais MLP, dans son discours, ne connaît aucune demi-mesure et fait des amalgames la régle. Elle fait de la peur son principal fer de lance en transformant les 752 ZUS françaises en autant de Banlieues 13.

On pourrait continuer encore longtemps la valse des clichés et je m'arrêterai à un dernier pas savoureux sur l'incontournable immigration :

On assiste à l’échec de l’intégration des français de 2°, 3° et 4° générations suite à une immigration massive et incontrôlée voulue par les gouvernements de la Ve République sous le haut patronage du MEDEF qui voyait dans cette immigration la possibilité de baisser les salaires.

L'échec de l'intégration des Français (ce n'est pas parce qu'ils sont d'origine étrangère qu'ils n'ont pas droit à la majuscule) de 2e, 3e et 4e générations n'est pas forcément due à l'immigration massive mais à une forme d'exclusion sociale ou à des facteurs sociologiques, comme détaillé dans un précédent article.

Soulignons simplement que le MEDEF, syndicat patronal créé en 1998, peut difficilement avoir tiré les ficelles de cette "immigration massive" qui a suivi la première vague d'après 1945. En fait, Le Pen devrait plutôt faire référence à l'ancien Conseil National du Patronat Français, mais la rigueur dans les notions avancées n'est pas franchement le fort du FN.

De plus, cette théorie complotiste est vaseuse. Si les travailleurs d'origine étrangère ont acquis la nationalité française ou ont été protégés par les mêmes droits que les Français, pourquoi les salaires auraient-ils baissé ? De plus, ils n'ont cessé d'augmenter depuis les années 1950 :


Source 

En regardant de plus près, MLP exprime une forme d'incertitude du "méchant MEDEF qui fait entrer plein d'immigrés en France dans le but de baisser le salaire des gentils Français". Encore une technique de la peur que de murmurer des complots d'officines inaccessibles au peuple.

Les solutions proposées peuvent-elle être malgré tout adaptées, mesurées, efficaces ? Rien n'est moins sûr...

Peu de différences entre le père et la fille

Côté propositions, MLP fait comme d'habitude des ressucées de son père :

  • augmentation des moyens de la police. En soi, ce n'est pas forcément une mauvaise chose. MLP peut en plus tirer à boulet rouge sur le bilan de Sarkozy qui a supprimé des postes de gardiens de la paix durant son quinquennat. On notera l'accent mis sur la BAC et les gendarmes plutôt que sur les médiateurs ou les anciens policiers de proximité.
  • présomption de légitime défense pour les forces de l'ordre. Proposition estampillée JLP comme MLP et récupérée sans vergogne par Sarkozy pendant sa campagne d'entre deux tours de 2012. Proposition très dangereuse, notamment parce que la légitime défense existe en l'état dans le droit français et qu'il est inutile de la "présumer". Cela reviendrait à dire que, lorsqu'un policier a abattu un suspect, il est présumé avoir agi en légitime défense, et que c'est donc à l'accusation de prouver qu'il ne l'était éventuellement pas. En d'autres termes, à donner un permis de tuer aux force de l'ordre.
  • lutte contre les bandes organisées. Le grand credo du père comme de la fille, avec le même champ lexical, les mêmes "grands frères" et "caïds".
  • lutte contre l'intégrisme religieux et/ou politique. Quand Papa Le Pen y va franco avec la "fermeture des mosquées sous la coupe d’obédiences intégristes", sa fille parle '"d’identifier les prédicateurs religieux défendant des thèses politiques extrémistes susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ou de menacer la laïcité". Mais un simple coup d'oeil sur le discours de Nantes suffit à vérifier que la tentation islamophobe se retrouve chez MLP.
  • stopper les flux migratoires. No comment.

Jean-Marie Le Pen se distingue en 2007 par :

  • un certain dédain envers les tâches administratives de la police. JLP le dit tout net : "les fonctionnaires de police et de gendarmerie doivent effectivement être affectés à la sécurité publique et non à des tâches de dactylographie, ou en faction devant des locaux". Or, la nécessité qu'un rapport soit tapé par un agent présent sur les lieux qu'il décrit semble être un minimum pour permettre à la Justice de bien faire son travail.

Marine Le Pen, quant à elle, se différencie de son père par :

  • la garantie du statut militaire de la gendarmerie. Ca ne mange pas de pain.
  • le renforcement des sanctions contre les délinquants récidivistes. Ca ne mange pas de pain également.
  • l'injonction civile, "qui signifie l’interdiction prononcée par la Justice de pénétrer dans des territoires définis pendant une certaine période de temps après avoir purgé sa peine". Et dans le cas si le condamné habite dans ladite zone ? Pas de réponse, on peut donc conclure à une certaine forme de démagogie.
  • l'aggravation des peines pour les personnes coupables de violences verbales ou physiques contre un représentant de l’autorité de l’Etat. Ce "deux poids, deux mesures" fera plaisir aux personnes victimes de violences verbales ou physiques qui n'ont pas la chance d'être policier...
  • la tolérance zéro contre les violences scolaires. Encore un "deux poids, deux mesures" après celui pour les forces de l'ordre.
  • la consolidation de la sécurité civile et notamment la garantie du statut des sapeurs pompiers volontaires, "menacé par l’Union européenne". Gros mélange des genres de MLP qui provoque une tempête dans un verre d'eau pour une discussion communautaire comme il y en a des tonnes dans l'UE...

Je ne sais pas vous, mais moi je ne vois toujours pas de grandes différences entre le père et la fille...